Adaptation du roman de Sylvain Estibal, Le Dernier Vol de Lancaster, inspiré d’une histoire vraie, Le Dernier Vol n’est pas moins que le septième film de Karim Dridi. Drame historique et romantique, interprété par le couple Cotillard/Canet, il occupe une place singulière dans la filmographie du réalisateur, habitué aux films à petits budgets et socialement engagés… Le Dernier Vol ou : que perd-on à gagner un gros financement ?
1933. Dans le désert saharien, les méharistes français tentent de maintenir l’ordre. Sous le commandement du jeune et indélicat capitaine Vincent Brosseau (Guillaume Marquet), le lieutenant Antoine Chauvet (Guillaume Canet) peine à préserver l’entente qu’il a su installer avec les Touaregs. Alors que l’insurrection est proche, Marie Vallières de Beaumont (Marion Cotillard), débarque au campement militaire exclusivement masculin. La jeune femme est à la recherche de son amant Bill Lancaster, dont l’avion s’est écrasé dans le désert sans qu’on ait pu le localiser. Obstinée, personne ne parvient à la dissuader d’abandonner sa quête irraisonnée. Mais Antoine, dissident, choisit finalement de l’aider…
La colonisation en toile de fond, Le Dernier Vol relate une histoire d’amour comme on n’en raconte plus. Pudique, suggérée, romantique, elle est de celles qui se filmaient sous la censure, celles qui par l’insinuation et la charge symbolique étaient souvent belles et émouvantes. A la recherche de son amant, Marie découvre un autre homme : plus qu’une rencontre physique, c’est une symbiose spirituelle qui unit les deux personnages, chacun à leur façon jusqu’au-boutistes. Parce que leur relation se construit en creux, sans coup de foudre ou étreintes dans le sable chaud, elle évite les péripéties démonstratives trop convenues, et reste ainsi l’atout majeur du film, malheureusement appesanti par une mise en scène trop classique, voire scolaire.
Le Dernier Vol c’est un peu un buste magnifique dans un corset trop serré. Le film, au budget conséquent, s’impose dans la filmographie de Karim Dridi comme la démonstration d’un savoir-faire. Propre, lisse, il n’est pas raté mais froid. On est bien loin de la vie qui transpirait de Khamsa, porté par la primeur de son protagoniste, un jeune gitan de Marseille. Ici, la forme est classique, le découpage est métrique, et les plans à la grue sont démonstratifs : la réalisation n’est plus la résultante d’un point de vue d’auteur mais un ordonnancement.
Seul le désert parvient lors de la fuite de Marie et Antoine (dernier tiers du film), à enrailler la machine de cette mise en scène trop bien huilée en y glissant quelques grains de sable. Ses dunes à perte de vue, sont poussées jusqu’à l’horizon du cadre. Dans ce décor naturel et magique, les personnages en perdition ne sont plus égarés dans l’immensité du désert mais enfermés dans l’espace du plan. Par définition, le décor, ce milieu dans lequel vivent et agissent des êtres soumis aux circonstances de leur existence, vole ici le premier plan aux personnages en les noyant dans une mer de poussière. Le désert devient le protagoniste. Cette puissance presque obsédante du décor, et la musique du trio Joubran et Chkrrr, participent à la construction d’une atmosphère mystique, une tonalité sur laquelle se clôt le film.
Ainsi, on quittera la salle en préférant à ce Dernier Vol son goût de sable plutôt que l’altitude de ses mouvements de grues.