Famille éclatée et banlieue tranquille : l’équation est connue. La mère envolée, le frère décapiteur en prison et le père bien gentil et dépassé. Reste la fille, Katrina, pour qui les autres constituent des moyens d’arriver à ses fins. Goldman déguise le drame de personnages vulgaires en blague un peu grasse mais d’abord distrayante. Pourtant trop rapidement, Le Feu sous la peau délaisse la vivacité de son exposition et s’essouffle dans une longue phase arythmique et pompeuse.
La réalisation du Feu sous la peau semble résulter d’une indécision dans la transcription du scénario. Goldman fait osciller son film entre comédie et drame social mais on est loin de l’humour cynique d’un Chabrol et il ne s’agit pas d’une superposition, seulement d’une alternance de sentiments. Dans une banlieue pavillonnaire, la furie Katrina (Emily Barclay), jeune mère de 19 ans, use de son corps pour n’en faire qu’à sa tête. Elle ne manque jamais de rappeler aux hommes qu’ils sont, chacun à leur façon, des losers, de son père dépassé à ceux qu’elle séduit aux feux rouges en passant par Rusty, son dévoué compagnon. Pour elle tout tourne autour de son frère emprisonné, qu’elle adule autant que lui-même l’ignore.
Réalisateur de clips, Goldman reporte de nombreux effets kitsch qui surchargent les décors déjà bariolés. Entre les scènes où s’étalent l’exubérance vestimentaire de Katrina, la rutilance de sa voiture et de ses attributs, toutes sortes d’effets spéciaux font transition : image d’un texto qui traverse l’écran de portable en portable, accélération, photos, pellicule qui se fige avant de brûler. Autant de moyens, ici, de dissimuler quelques facilitées du scénario. Sur le fil rouge d’un reportage de télévision qui présente d’emblée Katrina comme suspecte du meurtre de son père − ce qui finalement n’a ni intérêt ni importance − les séquences se succèdent presque comme de courts sketchs. Au mauvais goût de Katrina s’ajoute un peu de mauvais goût visuel sans que le réalisateur ose pour autant jouer la carte du cru, réussi par exemple dans Shortbus, de John Cameron Mitchell, ou chez Araki. Mais lorsque Goldman ne se prend pas au sérieux, les exagérations donnent au film un ton léger qui lui réussit. Une blague un peu grasse mais qui fonctionne.
C’est sur la longueur que Le Feu sous la peau s’épuise, moins par les agitations d’Emily Barclay que par le développement de l’engrenage mou dans lequel Katrina fait rentrer son entourage. Pas aussi glauque que certains des personnages, l’ambiance ne prend pas. Au vu du phénomène et de sa captation, impossible de s’identifier à Katrina et ceux qui la côtoient n’apparaissent pas avec une présence suffisante pour permettre de s’y attacher, à l’exception de la très jeune manucure Lilya, dont le début de déviance hébété laisse attendre un futur, alors qu’elle s’éloigne finalement en cours de route. Le développement du drame a pour horizon le meurtre du père, mais l’isolement progressif de Katrina reste l’enjeu. Dès lors que l’humour prend moins de place, le film perd son rythme et Goldman rend pathétique ce qui devrait être fort. Dans des scènes comme le meurtre de John, alors que la parole est suffisamment discrète pour ne pas écraser l’action, Goldman ajoute des sons censés appuyer la tension mais qui ne parviennent qu’à la plomber.
Malgré des sautes de vivacité, la grande deuxième moitié du film paraît molle et convenue après les premières présentations. L’image appuie lourdement le méprisable embonpoint des petites vies rangées dans les petites maisons alignées, la fausse tolérance des voisins, la psychologie de salon sur la cause des turbulences. La phrase qui clôt le film, éclat de cynisme, rappelle s’il en était besoin que Goldman se perd dans la durée et le sérieux. En ce sens, le mauvais reportage de télévision qui sert de fil rouge et dont l’image sale parsème et encadre Le Feu sous la peau correspond bien au film : on serait tenté, en zappeur voyeuriste, de n’en garder qu’un morceau.