Méthode d’animation peu représentée au cinéma, l’art de la marionnette est ici mis en valeur par le réalisateur danois Andres Rønnow-Klarlund. Sur fond de guerre et de rivalités intestines, l’histoire est celle d’un jeune prince parti à la recherche d’un chef ennemi pour venger la mort de son père. Si l’entreprise s’avère originale cinématographiquement parlant, la prévisibilité du scénario et le symbolisme un peu lourd de l’ensemble nuisent au film et l’empêchent de se hisser au rang des meilleures œuvres d’animation.
Voilà un film qui a le mérite de nous proposer la démonstration d’un art et d’apporter une originalité dans le monde de l’animation, puisque non seulement les personnages sont des marionnettes, mais en plus le dispositif de fils permettant leur manipulation est explicite et consciemment vécu par les protagonistes. L’histoire adopte la tradition scandinave, autrefois représentée par Hans Christian Andersen, en traitant des thèmes contemporains par le biais du conte.
Certaines recherches tant stylistiques que techniques sont notables. Ainsi, les couleurs, la lumière et les décors dessinent un univers impressionniste à la réelle beauté plastique. Le mode de vie et les matériaux des marionnettes (l’or pour le prince, la porcelaine pour la princesse, le bois mal dégrossi pour les esclaves) donnent lieu quant à eux à des trouvailles intéressantes. Relevons le fait que les personnages vivent toujours à ciel ouvert à cause de leurs fils, ou encore que la porte de la cité qui se referme est en fait un linteau qui empêche le passage des fils. Il faut également mentionner ce fameux fil de la vie, relié à la tête du personnage et qui entraine sa mort s’il est tranché. Tous ces éléments contribuent donc à créer un univers quasiment surréaliste.
Quelques moments de poésie laisseront leur empreinte, comme la naissance du bébé, petit être de bois qui reçoit des fils tombés du ciel, la découverte du lac aux mille guerriers sur lequel gisent des femmes et des enfants figés dans la glace comme les vestiges de Pompéi, ou encore les défunts qui dérivent sur un radeau, traînant leurs fils coupés derrière eux. Cependant, le symbolisme du fil comme entrave à la liberté et le manichéisme ambiant qui enveloppent le film sont trop appuyés et deviennent entêtants, manquant de subtilité.
Le film est donc une curiosité technique intéressante, mais malheureusement gâchée par un scénario décevant aux personnages stéréotypés (le frère félon, le fils vengeur, la sœur sacrifiée…) et aux situations convenues ou rondement menées, telle l’histoire d’amour entre le prince et la chef des ennemis à laquelle on ne croit pas un seul instant.
Autre problème : l’un des enjeux majeurs du film est de donner littéralement vie aux personnages. Pour cela, le réalisateur a voulu faire passer leurs émotions par leur gestuelle, ainsi que par le décor et l’éclairage. Les visages des marionnettes sont donc fixes, leurs traits et leurs bouches ne bougent pas. Seules leurs paupières s’ouvrent et se referment au gré des situations. D’où une curieuse et dommageable impression d’absence des personnages, à l’image du prince Hal, se réveillant d’un cauchemar, en sursaut, mais le visage figé.
Même si la voix des personnages rend compte de ce qu’ils ressentent – joie, colère ou tristesse – rien ne remplace les expressions du visage. Ce parti pris constitue donc un véritable obstacle à l’identification, et nous empêche de prendre véritablement part aux sentiments éprouvés. De même, la souffrance des corps est difficilement perceptible. Quand un esclave se fait arracher la main pour remplacer celle perdue par le prince, le fait de voir la pièce de bois sortir de son encoche ne donne pas vraiment de frissons dans le dos. De la même manière, comment rendre compte de la dureté des combats sans larmes ni sang qui coule ?
Ce film d’animation restera finalement intéressant pour sa mise en valeur du travail des marionnettistes, exposé pendant l’ouverture du film nous montrant les artisans au travail, sur leur passerelle. Il est simplement dommage que cet art n’ait pas été mis au service d’une histoire plus originale, plus inventive.