Le Flambeau permet de dresser une sorte d’état des lieux de l’humour en France, dont presque toutes les tendances sont ici représentées : on pourra y reconnaître, entre autres, un youtuber star (Mister V) et un vieux routier du one-man-show (Jérôme Commandeur), aux côtés d’acteurs et d’actrices issus d’horizons très différents, certains de l’écurie Canal +, d’autres des comédies grand public ou du cinéma d’auteur (Darmon, Merad, Bekhti, Exarchopoulos, etc.). De ce casting hétéroclite et prometteur, il est regrettable que la série ne tire pas grand chose : la plupart des personnages s’en tiennent à illustrer un « type » comique (l’influenceur, la flic zélée, le bon vivant, le complotiste…) dont presque aucun ne parvient à s’affranchir. Ce n’est pas le moindre défaut de la série que de cantonner ses acteurs à une partition isolée de celle de ses camarades, dont les répliques bien senties semblent d’abord promises à devenir des mèmes sur les réseaux sociaux. Reste que la chose n’est guère surprenante quand on se souvient que Jonathan Cohen, mais aussi ses coauteurs Florent Bernard et Freddy Gladieux, viennent tous de Youtube, dont ils exportent sur le petit écran le goût pour les vannes délivrées à un débit de mitraillette. D’où le sentiment d’assister à une compilation de bons mots, renforcé par le pastiche des codes de la télé-réalité, tant les plans à la caméra portée, mis bout à bout par le montage, visent à isoler chaque saillie. Si quelque chose ne fonctionne manifestement pas à l’échelle du groupe, on notera qu’à partir du quatrième épisode, consacré à une chasse au trésor sur l’île de Chupacabra, les clans des Nullos et des Mojitos se divisent en de plus petits groupes de deux ou trois acteurs, manière de restreindre les scènes de dialogue afin que se dégagent les nuances de jeu de chaque interprète. Absente avant le troisième épisode, Alexandra (Leila Bekhti), la psychopathe folle amoureuse de Marc (Jonathan Cohen), apporte à cet égard des ruptures de rythme bienvenues dans l’écriture assez monotone de la série. Hurlant le nom du bachelor à tout bout de champ, elle déplace le centre de gravité de la série autour de sa seule présence et de sa voix éraillée, dont le surgissement imprévisible donne une tonalité burlesque à ses apparitions. Cette manière de resserrer les scènes permet dès lors de retrouver la vivacité des échanges de La Flamme, où chaque épisode était consacré à l’entrevue entre Marc et l’une de ses prétendantes. Car, en dépit de leurs différences de façade, les deux séries suivent au fond la même logique d’écriture : la troupe passe au second plan, au profit d’une série de duos opérant la rencontre inattendue entre deux acteurs.
Et c’est justement dans ces face-à-face que Jonathan Cohen exploite véritablement son talent de comédien. La Flamme se révélait vraiment inspirée lors de ses échanges avec Pierre Niney dans le rôle du Docteur Juiphe : le pastiche de l’esthétique kitsch du Bachelor s’effaçait derrière un dispositif minimal, un simple champ-contrechamp à même d’accueillir les improvisations des deux comédiens. Or, avec cette parodie d’une nouvelle émission de téléréalité, Marc cesse d’être au centre de l’attention pour devenir, un temps du moins, un candidat comme les autres. De ses remontrances contre le programme lors de son arrivée sur l’île jusqu’à la création, au mitan de la série, d’un nouveau clan à son nom (les Marcs), la trajectoire du Flambeau consiste au fond à redonner la place centrale à son showrunner, dont la persona comique, au moins depuis Bloqués, s’apparente à celle d’un enfant-roi irascible et affabulateur qui contamine de l’intérieur tous les formats dans lesquels il apparaît (jusqu’à développer, comme une métastase, sa propre fiction – cf. Serge le mytho). Il est révélateur que les derniers épisodes du Flambeau s’avèrent de loin les plus réussis, justement lorsque le scénario s’affranchit des rails de la parodie. Ainsi du septième épisode où l’acteur se dédouble pour jouer Marco, un narcotrafiquant qui prend en otage les candidats : cette mainmise impose un tempo comique renouvelé, moins hystérique mais tirant davantage vers un absurde bizarre (les candidats doivent fabriquer cinq kilos de cocaïne à partir de trois fois rien) dans lequel l’acteur excelle. C’est aussi à la fin de la série que Cohen révèle véritablement le caractère régressif et infantile de son personnage, dont l’élégant costume de ville se transforme progressivement en culotte bouffante de bambin. Se dégage de ses apparitions un goût pour le nonsense provoquant un léger vertige, comme dans l’épisode 8, où il faut voir la manière dont un simple plan de coupe fait apparaître un nouveau personnage, Jean-Guy, connu de tous sauf de Marc et du spectateur. Son arrivée subite ouvre une faille dans le scénario, jamais expliquée et dont l’absurdité n’est alors pas sans évoquer, sur un mode mineur, le surréalisme potache d’un Quentin Dupieux. C’est peut-être la conclusion à tirer de cette série en demi-teinte : Jonathan Cohen ne brille jamais autant que lorsqu’il impose à la série une folie comique confinant à l’inquiétante étrangeté.