Le titre français à rallonge Le Jour où je l’ai rencontrée (sans rapport avec celui américain The Art of Getting By, « l’art de la débrouille », dont on ne voit pas non plus le lien avec le film) ne présageait rien de bon. Nos craintes étaient fondées : le premier film de Gavin Wiesen est en effet une romance gentillette sans originalité entre ados new-yorkais…
Le film s’ouvre sur le désenchantement du jeune George (Freddie Highmore), garçon lunaire et solitaire qui dessine sur ses livres plutôt que d’écouter ses professeurs. Selon lui, la vie n’est qu’un sursis avant la mort ; alors, à quoi bon se fatiguer avec des devoirs futiles sans commune mesure avec ses méditations existentielles ? Ce questionnement adolescent, plutôt touchant, n’est pas davantage exploré, on l’oublie rapidement, et le film retrouve le chemin parfaitement balisé du scénario déjà vu cent fois : George tombe sous le charme de Sally, la fille sexy du lycée (Emma Roberts) qui va l’introduire dans son groupe d’amis cool. Pas la peine de vous raconter la suite que vous pouvez aisément imaginer… On retrouve tous les clichés de la romance hollywoodienne : de la musique qui surgit après les premiers mots échangés, à l’admiration de Sally pour les dessins géniaux de Georgie, en passant par la fête hype où le jeune outsider a du mal à trouver sa place. Les personnages secondaires, tels que la mère envahissante de Sally ou le beau-père endetté de George, auraient pu être exploités davantage pour donner de l’épaisseur au film, mais les scénettes dans lesquels ils jouent disparaissent aussi vites qu’elles sont apparues. En plus d’être totalement prévisible, le scénario est parfois invraisemblable. On pense au moment où les deux amis rendent visite à un artiste dans son atelier de Brooklyn et donnent l’impression de traverser le pont pour la première fois ! Idem lorsque George accepte de rattraper tous ses devoirs de l’année en seulement trois semaines, alors qu’il n’a jamais rien fait en trois ans de lycée…
Si cette romance sans originalité était au moins bien écrite et bien jouée, on aurait pu se prêter au jeu et se divertir avec légèreté. Mais, là encore, le bât blesse. Les dialogues sont insipides et rythmés par la ritournelle de Sally, « you’re so weird » (« tu es si bizarre »). Ce constat niais est à l’image de l’interprétation d’Emma Roberts : une petite sainte nitouche qui minaude à n’en plus pouvoir. Freddie Highmore s’en tire mieux que sa camarade et a même quelque chose d’attendrissant en jeune adolescent fataliste et blessé. Il faut dire que les acteurs ne sont pas aidés par la mise en scène, souvent consternante de mièvrerie. Que l’on songe au plan large où un beau ralenti fait apparaître les deux amis fâchés qui marchent l’un vers l’autre sans se regarder, ils disparaissent du champ et deux oiseaux font leur apparition en roucoulant…On pourrait également évoquer la découverte du fameux tableau peint par George : le spectateur a vu la toile blanche, les gros plans sur les coups de pinceaux, le regard dubitatif puis satisfait de George, puis celui de son professeur d’arts plastiques… mais toujours pas la toile ; il faut attendre l’arrivée de Sally, qui a finalement décidé de retrouver son bon ami, pour voir la jeune fille tourner autour de la toile et découvrir… ô suspense… que la toile la représente, elle !
Au vu de toutes ces qualités, on se demande encore ce que ce film faisait parmi la sélection du festival de Sundance 2011, qui, on le rappelle, est un des plus grands festivals américains de films indépendants, oui, indépendants. On a du mal à voir ce qu’il y a d’indépendant dans ce film… Peut-être bien la photographie avec son étalonnage saturé et contrasté qui veut éviter les images trop lisses des romances hollywoodiennes sans intérêt ? Ou serait-ce les savoureuses références artistiques qui surgissent de ci de là : la surprenante comparaison avec Basquiat quand Sally découvre les dessins de George, l’extrait de Zazie dans le métro que les deux amis sont allés voir au cinéma ou les jolis élans métaphysiques de leur ami peintre face à une toile de Rothko ? Si encore tout cela n’était que du second degré, mais rien n’est moins sûr… Tout dans ce film ou presque manifeste sa dépendance à l’égard d’un cahier des charges de ce qu’Hollywood produit de plus fade. Il est toujours aussi surprenant de voir que l’on puisse mettre autant d’argent dans des films aussi peu inventifs. Le film n’est rien moins qu’un condensé raté de la série Gossip Girl : un jeune homme cultivé et différent débarque dans le monde de la jeunesse dorée new-yorkaise, seul petit changement il est vrai, nous ne sommes plus dans l’Upper East Side, mais plutôt de l’autre côté de Central Park, peut-être pour la touche « indé»…