Qu’un documentaire de société consacré à la pédagogie alternative « Montessori » se contente d’illustrer platement les résultats de sa méthode, pourquoi pas. Qu’il en vienne à détailler comme un apprenti-sorcier les préceptes de sa médecine éducative, passe encore… Mais rien n’imposait à Alexandre Mourot de faire de son film une si flagorneuse enluminure, ni de composer, en creux de son dépliant de prosélyte, le portrait utopique d’une petite école bien proprette comme certains se désolent de ne plus en voir. Car passé les vingt premières minutes de stupéfaction gaga, passé les prouesses de ses petits cadors de l’apprentissage en toute autonomie, que reste-t-il du Maître est l’enfant, sinon un ensemble de choix pour le moins sélectifs, dressant le tableau nostalgique d’une classe de gentils chérubins où discipline, amour et tendresse auraient fini par triompher du chaos de l’instruction publique ? Sur le fond (comprendre : l’article dont on nous fait la réclame), avec ses éducateurs qui chuchotent, son matériel pléthorique et adapté, ses élèves bien peignés qui progressent plus rapidement que la « moyenne », il ne fait aucun doute que la méthode Montessori a de quoi séduire. Mais quitte à assumer pleinement ses techniques de vente, Mourot n’aurait-il pas été plus inspiré de piocher, justement, un exemple au reflet plus fidèle à cette « moyenne » qui pose tant problème, pour mieux vanter les miracles de sa pédagogie ?
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Heureusement, l’interview de l’auteur dans le dossier de presse apporte à nos accusations un démenti opportun : « L’école Jeanne d’Arc est située au centre de Roubaix. Elle accueille des enfants de milieux sociaux très divers. C’est par conséquent une situation moyenne. Sans être une école exclusive pour enfants de milieux très favorisés, ce n’est ni une école rurale où tout le monde se connaît, ni une école de ZEP où les familles cumulent beaucoup de difficultés économiques, sociales ou linguistiques. » Soit. Mais n’est-ce pas faire de Roubaix, cité post-industrielle de la métropole lilloise connue pour son taux de chômage record, un portrait bien flatteur ? Quiconque a eu l’occasion d’y faire un tour ne pourra s’empêcher de noter le contraste entre cet immaculé cocon de propreté, et la dominante gris-charbon de la grande majorité du reste de la ville. On n’ira pas jusqu’à affirmer qu’il y a dans les propos angéliques du documentariste un peu de mauvaise foi, mais devant l’imagerie d’Épinal que forment ces têtes blondes en blouses d’avant-guerre, on se demande si l’idée que se fait Mourot d’une « situation moyenne » dans le Roubaix d’aujourd’hui ne flirterait pas avec un fantasme de petit curé (on s’étonne que le film ne prenne pas la peine de mentionner l’identité catholique de cette soi-disant école-test, tant elle est saturée de croix, de représentations du Christ et de Marie bien visibles ; on s’étonne moins en revanche de l’absence totale d’enfants issus des minorités visibles – et Balthazar dans tout ça ?). Bref, à contenu égal, autant aller faire un tour sur le site web de l’école Jeanne d’Arc, lequel foisonne d’annonces de spectacles bibliques que Le maître est l’enfant, trop occupé à démontrer les bienfaits de la solution Montessori sur tout un chacun, omet bizarrement de mentionner : http://www.jdarc-rx.com/joomla1.5/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=96&Itemid=108.
Ce dernier point, certes, n’a plus rien à voir avec le cinéma. Mais devant un spectacle de propagande aussi gâteux, qui prétend encore s’en soucier ?