Abbas Kiarostami avait, jadis et pendant plus de quinze ans, fait ses premières armes au service de l’Institut pour le développement intellectuel, Kanoon. Cet institut, créé en 1964 par l’épouse du shah, a toujours souhaité développer la force cinématographique et son impact sur le jeune public. L’animation a donc une réelle et importante place pour saisir le monde en recréant un univers composé de papiers découpés, de marionnettes ou de pâte à modeler. Les trois courts métrages présentés sont donc foncièrement pédagogiques mais usent de la grâce pour pointer du doigt les fléaux de tous les temps : l’abus de pouvoir, la gourmandise ou l’égoïsme.
Le Petit Monde de Bahador, le premier court proposé est le bijou de cette parure 2006. Grand Prix Cannes junior et Éléphant d’or au Travelling de Rennes, ce film conte l’histoire d’une souris, Bahador – « courageux » en perse – qui, obligée d’obéir aveuglément à un tyran gourmand affamant son peuple, décide de se révolter. Entre idées scénaristiques (les fusils qui sont des fourchettes, les fruits secs qui sont de vrais fruits, l’arrivée des scorpions, le mocassin qui est un carrosse…) et trouvailles visuelles (le chat filmé en rétro-projection et qui est donc réel, les scènes de nuit particulièrement réussies dignes d’un éclairage à la Quentin de La Tour), Le Petit Monde de Bahador ne se départ pas d’une dramaturgie efficace. Les marionnettes ont des gestes précis et la finesse des décors, des costumes sert l’action. Une vraie connivence s’instaure entre l’histoire, la bande sonore et les voix des personnages, la mise en image. Réussite d’un cinéaste, Abdollah Alimorad qui a déjà étonné avec La Montagne aux bijoux (1994) et Les Oiseaux blancs (2003).
Rentrons chez nous est avant tout un film de dessin animé. Loin de l’animation en volume, la 2D est ici magiquement travaillée et joue sur de subtiles profondeurs de champ avec utilisation d’un procédé vieux comme Léonard de Vinci mais si efficace : le sfumato. Le dessin est élémentaire et contribue à l’efficacité de cette histoire simpliste : un petit hérisson téméraire retrouve le chemin du logis en guidant ses frères et sœurs jusqu’à maman. Quelques contours permettent de délimiter les arbres et les animaux tandis qu’une pointe de couleur, du vert, de l’orange, du rouge, vient donner consistance à ces silhouettes. Aucun gros plan, ni plan rapproché, le dispositif est étonnement sommaire : un unique plan avec un décor immobile, les hérissons seuls font l’image, déterminent le cadre. Des fondus enchaînés ponctuent cette ballade inespérée. L’humour n’est certainement pas absent de ce récit où la peur et l’horreur sont travaillées hors champ. La bande sonore donne l’impulsion au dessin et les petits hérissons craignent ce qu’ils ne voient pas. Du pur bonheur pour une narration finalement contemplative.
Compagnon est en revanche le maillon faible de cette série. Si l’animation (de la pâte à modeler) est techniquement impressionnante, le récit ne parvient pas à intéresser au-delà de l’aspect pédagogique. Deux hommes naissent de rien et si l’un, égoïste ne pense pas pour deux, l’autre, en revanche, décide de construire une maison pour abriter leur jeunesse. Que de la pâte ou de la glaise naisse le monde, cela n’est foncièrement pas novateur et malgré l’impeccable tenue de l’animation, la bande sonore n’est pas convaincante : les hommes parlent un charabia finalement crispant et la musique ne réussit pas à donner un vrai sens à cette création. Un aspect désuet contrebalance la modernité des deux précédents courts métrages. Un petit dommage au vu de la réussite fond-forme évoquée avec Le Monde de Bahador et Rentrons chez nous. À découvrir avant l’arrivée d’autres séries venues de Kanoon, Iran et qu’il ne s’agirait pas de rater.