Le début du Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? s’apparente à une image d’Épinal. Sempé, à bicyclette, descend les grands boulevards au milieu de vieilles automobiles, pour rejoindre son ami Goscinny dans un troquet pittoresque, tenu par un patron bourru vêtu d’un tablier blanc parsemé de quelques taches de graisse. La caméra s’attarde sur des immeubles haussmanniens, la tour Eiffel ou le Sacré-Cœur. Les passants sont contents, le ciel est d’un bleu aquarelle et le café coûte probablement toujours un franc. Une évocation décomplexée du « bon vieux temps » jusque dans le titre, emprunté à la chanson de Ray Ventura. Le film d’animation d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre, alternant aventures de Nicolas et intermèdes centrés sur Sempé et Goscinny, brosse de la sorte un portrait aussi détaillé que fantasmé de l’idée qu’on pourrait se faire d’une « France des jours heureux ». Une France de petits garçons blancs de classe moyenne, en somme celle du petit Nicolas et de ses créateurs (dont on découvre les luxueux appartements et bureaux : verrière avec vue sur les toits de Paris style La Corde pour Sempé, sorte de temple grec pour Goscinny). Il est difficile de se laisser aller sans réserve à cette célébration passéiste de la douce France, mue par la seule admiration que les metteurs en scène ont pour l’œuvre originelle.
Adaptation, trahison
La révérence des réalisateurs à l’égard du travail de Sempé et Goscinny est également manifeste dans leur manière de célébrer le style graphique de Sempé, animé tel quel, en transposant les planches en plans, ou du moins en essayant de les imiter au mieux. Or la forme même du Petit Nicolas se destine en soi assez mal à l’animation. Il s’agit de planches non découpées (à l’exception de quelques rares strips), que Sempé compose selon les principes de l’illustration de presse ou du livre pour enfant : le trait est très direct et expressif, les situations figées imagent le texte et sont le support du récit. Par exemple, la couverture du Petit Nicolas fait du sport représente un match de football : Nicolas tire un peu n’importe où et quatre personnages sont à ses côtés, disposés autour de lui de façon à mettre en avant sa frappe. Animer telle quelle cette couverture reviendrait à lui retirer tout son impact. Car les actions qui précèdent et qui suivent ce tir rocambolesque n’ont que peu d’intérêt ; le moment fort (le tir), une fois mis en mouvement, ne dure qu’une poignée de secondes, alors que son illustration figée se développe dans le temps (on note le dynamisme du trait ou un détail d’un visage). En résulte un film recopiant avec beaucoup de zèle le travail d’illustres ancêtres décédés dont il ne faudrait pas froisser la mémoire. Cette mollesse n’est en rien rattrapée par les segments où Sempé et Goscinny parlent entre eux. Ces épisodes s’apparentent surtout à de petites capsules biographiques, factuelles (on raconte la vie de Goscinny aux États-Unis) ou commémoratives (Sempé annonce à un petit Nicolas imaginaire la mort de Goscinny, la larme à l’œil). Là encore les réalisateurs ne quittent jamais leur position d’admirateurs.