Le cas Brassens
Il est des êtres dont la fréquentation, même par caméra ou phonographe interposés, apporte toujours un profond contentement – un contentement, si l’on peut dire, de toute l’âme : Brassens ne flatte pas une partie de nous-même contre une autre, le plaisir qu’il provoque est toujours indissolublement sensible, intellectuel, moral. Car outre le talent et la culture, ce qui donne son esprit à son œuvre, et lui attribue une place singulière dans le paysage français, c’est quelque chose comme une vertu, une entièreté et excellence éthiques, que l’on essaie d’approcher par des mots comme intégrité, douceur, fidélité, humilité. Cela justifie presque, à l’avance, toute entreprise permettant de cultiver sa mémoire.
Brassens en cinéaste amateur
Le Regard de Georges Brassens n’apportera rien de neuf à l’art du documentaire biographique. Il serait vain de le lui reprocher : la qualité s’estime aussi à l’adéquation entre l’ambition et le résultat. Pas de promesse excessive, pas de déception. Un de ses intérêts, en revanche, est dans la manière dont il prend soin d’évoquer les relations que Brassens entretenait avec ses proches : les animaux qui l’entourent, ses amis, de Sète et d’ailleurs, Jeanne et Marcel chez lesquels il vécu plus dix ans, sa compagne Püpchen, ses parents. Sur ce point, la « valeur ajoutée » du documentaire est d’utiliser assez largement des petits films tournés par Brassens lui-même, avec la caméra achetée en 1952, après ses premiers cachets.
Brassens reconnaît n’avoir pas de regard cinématographique : « je ne sais pas trouver l’angle ». Il n’a de toute façon pas cherché à en avoir et n’en avait pas besoin. Mais il est émouvant d’observer la tendresse avec laquelle il capte le quotidien de l’impasse Florimont, la canne de Jeanne, ses chats échaudés et chiens tout crottés, ou la pudeur des parents, quand Georges pose une caméra devant laquelle ils ne savent faire autre chose que tourner sur eux-même. Belle timidité qui n’est pas la moindre des qualités que l’anar et la bigote ont transmis à leur enfant. Et puis il y a d’autres scènes, des jeux autour d’un bateau, Püpchen étendue sur un lit ou dans les prés. Par la grâce de ces enregistrements maladroits, nous voyons se cristalliser un instant, autour de fragments du réel, l’imaginaire du poète. On pense alors au lieu commun selon lequel l’artiste doit « s’exprimer », et l’on se rappelle qu’il est possible de parler de soi sans étaler son petit moi.