De la part des créateurs d’un Narnia en toc, on aurait pu s’attendre à une baudruche sans âme, saturée d’effets numériques. Surprise : Le Secret de Terabithia, s’il n’échappe pas aux clichés du film familial, lorgne plus volontiers vers la fantaisie sombre de Créatures célestes que vers l’indigeste Eragon.
Jesse est un jeune garçon : il aime dessiner (sa passion cachée), courir, il est amoureux de sa superbe prof de musique… Un gamin normal, donc, si ce n’est qu’il est peut-être un peu plus solitaire et farouche que la moyenne. Sa nouvelle voisine, l’excentrique Leslie, lui ouvre bientôt les portes de son monde imaginaire, qu’elle baptise Terabithia. Les enfants partagent à partir de ce moment leur vie entre une réalité sombre et un exil fantastique, romanesque, rêvé.
L’écueil majeur qui guette toute production actuelle à effets spéciaux est de ne baser le récit que sur l’utilisation de ceux-ci. Surprise : Le Secret de Terabithia n’est pas, comme on pouvait le craindre, une superproduction hautement numérisée, mais bien un conte d’enfance « à l’ancienne », qui fleure bon son Stand by Me ou son Créatures célestes. Le film se focalise principalement sur les rapports du jeune garçon avec ses camarades et sa famille, laissant le monde fantasmé de Terabithia de côté. Potentiellement très caricaturaux, les divers personnages sonnent pourtant justes : la grande fille méchante et laide qui se révèle une amie de choix, les deux cancres idiots et violents, le père aimant mais fruste, la prof de musique qui n’a jamais grandi… On avance en terrain connu, mais avec le plaisir de retrouver une féerie simple mais intelligente.
Loin de se révéler victime du « tout démonstratif », qui nie la mise en scène et plombe généralement les grosses productions à la Harry Potter et autres Eragon, Le Secret de Terabithia prend une direction surprenante : celle de la suggestion, un art qui semblait être tombé en disgrâce. Ce n’est finalement pas si étonnant, puisque le scénario du film fait largement l’apologie du rêve et de l’imagination : « ferme les yeux, mais garde l’esprit ouvert » lance la jeune Leslie. Et effectivement, la silhouette monstrueuse d’un gigantesque troll des forêts à peine esquissé par des rayons de soleil renvoie au rang de gadgets creux tous les balais de quidditch et tous les dragons de pacotille qui envahissent les écrans. Les enfants s’émerveillent devant la beauté et fantastique d’un ciel dans lequel ils imaginent mille formes ? La caméra se focalisera sur leurs visages, et on ne verra rien de ce qui les inspire ainsi. Privilégier la suggestion de la beauté et du merveilleux à des effets évidents et toujours plus simples à réaliser témoigne d’un respect de son audience que l’on désespérait de retrouver dans le cinéma familial.
Familial, Le Secret de Terabithia l’est indéniablement. Il ne se permet aucune audace formelle, passe par tous les poncifs du genre. Mais c’est surtout, et heureusement, pour nous rappeler qu’il fut un temps où ce cinéma rimait plus avec merveilleux qu’avec mièvrerie. Conte à la douceur amère (avec un aspect sombre inattendu et méritoire), Le Secret de Terabithia fait avant tout preuve d’une honnêteté artistique qui force le respect.