L’une des premières scènes du film s’ouvre sur Élise (interprété par Marilyne Canto elle-même) hâtant le pas dans les galeries du Louvre où elle travaille. Dans un long travelling, la caméra semble ne rien vouloir perdre de la marche vaillante de la conférencière. Loin d’être anodin, ce parti-pris de mise en scène donne le ton de ce que sera Le Sens de l’humour : un mouvement vers l’avant, parfois irréfléchi, à peine conscientisé, beau contrepied (comme le titre du film) au travail de deuil que cette femme tente de mener depuis la mort inattendue du mari. Cet engagement est également celui d’une réalisatrice qui, malgré la dimension autobiographique du projet qui aurait pu la bloquer dans sa démarche, arrive à bousculer une certaine frange du cinéma français trop souvent tentée par la peinture psychologique et le risque de surplace qui en découle.
La pièce manquante
Centre névralgique du film, le mari disparu – dont on ne saura finalement pas grand chose – constitue une béance dans le récit. Tout au plus un flash-back figurera avec habilité l’inconcevable immatérialité de la mort (lorsque ne restent qu’un passeport et quelques billets de banque) avec laquelle Élise et Léo, son fils d’une dizaine d’années, doivent composer. Et ce n’est pas un hasard si ce décès, rarement évoqué frontalement, est porté à notre connaissance par l’intermédiaire de l’enfant, l’annonçant sans détour à un camarade de classe plus âgé, grand-frère manquant ou trait d’union indispensable vers un monde des adultes inutilement compliqué. Léo, dans sa quête de filiation, semble rechercher discrètement des substituts, un groupe, une communauté, ce qui l’amène un temps à vouloir revendiquer davantage sa judaïcité alors que la religion n’avait probablement jamais fait l’objet de la moindre pratique dans le cercle familial. Mais la question de cet héritage symbolique laissé par un mari évaporé anime tout autant le quotidien d’Élise, femme blessée et parfois blessante, se dessinant plusieurs lignes de fuites, parfois incohérentes ou contradictoires.
Nous vieillirons ensemble
L’entrée en scène de Paul (Antoine Chappey, toujours formidable) dans la vie d’Élise pose la question de l’évidence des sentiments. Pour ce personnage chargé de prendre le relais, brocanteur de métier (lieu du recyclage) par opposition au métier de conférencière de musée (lieu de la conservation), l’enjeu sera justement de permettre à sa nouvelle compagne de s’autoriser cette seconde vie qu’on accorde de manière prosaïque aux vieux livres ou aux fauteuils défoncés. Surtout qu’entre Élise et son fils, la relation est complice et solidaire, sans aucune complication majeure. Il n’est pas surprenant que la réalisatrice fasse référence à Maurice Pialat (et plus précisément au superbe Nous ne vieillirons pas ensemble) : il y a d’abord, au-delà de la tentation d’un certain naturalisme qui pourrait rencontrer quelques limites dans son application, un désir de nourrir les scènes de ce qui existe au-delà du tournage (Canto et Chappey sont en couple à la ville, les deux frères Chappey interprètent également deux frères dans le film), ce qui enrichit chaque scène d’une tendresse qui n’est jamais feinte. Il y a ensuite des motifs esthétiques qui rappelle Pialat le peintre (le bleu du tableau de Monnet, de la chambre de l’enfant, etc.) en créant de troublantes correspondances entre la création et le réel. C’est dans ce fragile interstice que le cœur du Sens de l’humour bat et dévoile toute sa belle vitalité.