Face aux immenses étendues silencieuses de la Haute-Corse, Olivier (Mathieu Demy) est aux prises avec sa conscience : témoin d’un meurtre, il se tait pour ne pas être exclu de la « communauté » villageoise. Mais son propre silence le ronge. En explorant les limites entre culpabilité, obsession et crise identitaire, le réalisateur Orso Miret livre un film inégal, sombre et inquiétant, tout en contrastes et en non-dits.
Nouvelle variation sur le thème de la solitude, déclinée à travers toutes les expressions qu’elle recouvre chez Olivier, le film tente de représenter le décalage profond et intérieur qui se creuse entre les êtres, au sein d’un couple, d’un groupe d’amis ou de chasseurs. En permanence, Olivier est en équilibre précaire face aux autres, toujours à mi-chemin entre la volonté de s’intégrer au groupe et une certaine répulsion à y perdre une part de lui-même. Le personnage, trentenaire et bientôt père, se trouve à la croisée des chemins, en pleine crise identitaire. On le voit douter de sa capacité à assumer sa nouvelle paternité et ne trouver pour toute véritable affirmation de sa virilité que l’accomplissement final de l’acte de chasser.
L’exploit, réalisé là encore en solitaire, à l’insu du groupe, lui vaut une bien dérisoire reconnaissance de ses pairs au vu des événements dont il a été le témoin. La mort finale du sanglier, qu’il abat entre rage et répugnance, exorcise la peur et l’impuissance qu’il a ressenties lors du meurtre. Le parallèle entre ces deux actes de violence est d’ailleurs souligné par un des chasseurs qui déclare à Olivier à la vue de la dépouille du sanglier, « qu’il est désormais lui aussi un assassin ». Le réalisateur réussit là à exploiter justement la dimension symbolique du gibier tué en rapprochant le cours de l’histoire de la lente décomposition de la carcasse sanguinolente. L’ambivalence du personnage principal dépeint sur l’ensemble du film où sont mis en valeurs les contrastes : la blonde fiancée Marianne (Natacha Régnier), lumineuse et fragile est le double inversé de l’obscur Olivier ; la petitesse des hommes cadrés seuls et de dos s’oppose à l’immensité imposante des paysages de montagne ; les images en noir et blanc qui expriment les rêves troublés d’Olivier tranchent avec le décor de carte postale du village corse. De même, l’omniprésence de l’eau symbolise cette dualité qui agite les personnages : lieu de plaisir et de détente pour Marianne, la rivière revient de matière détournée dans les obsessions d’Olivier en tant qu’élément de mort et d’engloutissement. La représentation du traumatisme psychologique qu’il subit est rendue avec force par l’irruption inopinée de ces séquences vidées de toutes couleurs et filmées au ralenti comme pour mieux imprimer leurs marques dans l’esprit du personnage. La figure de la victime du meurtre est à cet égard d’une troublante ambiguïté : image de la tentation féminine pour le personnage, son fantasme est désagrégé sous ses yeux et renforce encore son sentiment de coupable passivité.
Toutefois, étrange paradoxe, à trop vouloir rendre la complexité même du ressenti de ses personnages, le réalisateur finit par instaurer une froide distance analytique entre le spectateur et une histoire qui se déroule dans un découpage quelque peu intellectualisé. L’ambiguïté des sentiments éprouvés par chacun des protagonistes dépasse de beaucoup le simple dilemme entre devoir et omerta, entre culpabilité et peur de l’exclusion. Si Orso Miret sait dénoncer d’une façon pertinente la culture du silence qui semble devoir régner en maître sur le village corse, l’atmosphère d’inquiétude et de trouble qui se tisse au fil des scènes surgit davantage du combat intérieur et des contradictions d’Olivier que de l’intrigue policière, qui n’a que peu d’intérêt en tant que telle. Le réalisateur réussit en effet à inclure des plans où perce la déformation subjective que créent la culpabilité et le silence destructeur dans lequel se mure le personnage, comme par exemple l’étouffement de la voix de Marianne qui nous parvient à travers les brumes de la conscience choquée de son compagnon. Le comportement mutique de ce dernier le rend fantomatique et véritablement angoissant, car, comme le lui fait remarquer Marianne, « elle ne sait plus bien qui il est ». Perte d’identité recouvrée en partie grâce à leur départ de l’île, espace là aussi ambivalent, représentation des racines familiales qui imposent une aliénation des principes individuels au nom de normes sociales basées sur les rapports de force entre clans.
Orso Miret manie donc avec brio l’art de distiller une atmosphère oppressante, symptomatique de l’état d’agitation intérieure de son personnage principal. Il ouvre une réflexion sur la relativité des valeurs puisque la « victoire » finale de la morale et du devoir ne convainc pas réellement de l’absurdité du silence et de la fuite. Il est dommage que l’ensemble du film reste nimbé d’une certaine rigidité et d’une distance qui nuisent en partie à une plus juste expression de la tourmente psychologique que subissent les personnages.