Il n’est jamais trop tard pour vivre son voyage initiatique – d’autant que, nous dit Stefano Pasetto avec insistance, il est toujours temps d’initier de nouveaux parcours. Avec ce second long métrage, le cinéaste se place au croisement des chemins de Kieslowski et de Saint Thomas d’Aquin – une rencontre où, suprême audace, il est aussi question de laisser sa liberté au spectateur…
Difficile de résumer en quelques lignes l’intrigue du Voyage de Lucia. Comme tout bon voyage, aucun jalon, aucun événement n’importe plus que celui qui le suit, ou que celui qui le précède. Qu’il suffise de dire que Lucia est une femme qui voit, subrepticement, le quotidien qu’elle voulait solide, immuable, se fissurer et céder sous elle.
En dire plus serait trop en dire, tant Le Voyage de Lucia est un film qui se déploie, et à qui il faut donc laisser le temps de se déployer. Logiquement, le réalisateur adopte la même approche formelle : son image se construit par le détail, celui qu’il montrera d’abord fugitivement avant de, par le cadrage, la répétition, l’ellipse, lui donner la place qu’il mérite. Quelle que soit la méthode adoptée, Stefano Pasetto privilégie la subtilité, progressant par touches minuscules, ne brusquant rien. Cas rare, il va même jusqu’à laisser en suspens nombre de fils narratifs, quitte à donner naissance à des nœuds dramatiques potentiellement forts, pour mieux les abandonner après, laissant au spectateur la liberté de combler les blancs.
Pour autant, ne pas souligner lourdement son propos n’affaiblit jamais le discours de Stefano Pasetto. Le contraire peut même se révéler vrai : ainsi, une phrase lourde de sagesse proverbiale ira alourdir de façon presque grotesque la relation pourtant élégante entre Lucia et une vieille dame. On a ici affaire à un peintre d’atmosphère, à un narrateur capable de poursuivre, sans cesse, la construction douce et précise de ses personnages.
Stefano Pasetto est-il plus amoureux de Lucia et de Lea que de Sandra Ceccarelli et de Francesca Inaudi ? Sont-elles, même, distinctes à ses yeux ? En tout cas, il ne cesse de les contempler, caresse les plus petits détails de leurs corps, de leurs visages, sublimant leurs beautés. S’il désire manifestement ses actrices, et qu’il transmet fort talentueusement ce désir, Stefano Pasetto parvient également à explorer ce qu’une attirance entre les deux femmes peut avoir de discret, d’anodin, de subtil… et de torrentiel.
Ce regard espion, amoureux, friand de détails entrevus discrètement volés, aime à se cacher, à créer un labyrinthe au sein même de son cadre. Un pied de table, le rabattant d’un piano, une cabine de voiture : tout est moyen à Stefano Pasetto pour briser son cadre. Changeant sa caméra-narrateur omniscient en voyeur caché, en spectateur sournois, il va dans un second temps ouvrir son image à la beauté panthéiste des paysages de Patagonie. Dès lors, les couleurs s’affirment outrées, éloquentes, offrant aux touches pointillistes de la construction des personnages un cadre grandiose, aux couleurs merveilleuses. La Nature, les animaux en contrepoint apaisé aux atermoiements douloureux des protagonistes.
Doté à la fois d’une sensibilité narrative réelle et d’un véritable talent chromatique, Stefano Pasetto ne raconte finalement rien de plus qu’un moment, qu’une étape, sans vraiment de fin ni de début – un moment de vie partagé qui laisse le goût d’une riche expérience humaine.