Si Léger tremblement du paysage n’émane pas du collectif pointligneplan, on peut aisément l’apparenter à un cinéma plasticien et de recherche. Philippe Fernandez est artiste multimédia, mais aussi musicien et enseignant, et propose au menu de son premier long-métrage : futurisme bout de ficelle, patascience et ode à la révolution, copernicienne ou non. Un film-objet quelque peu systématique dans son déroulé, mais c’est aussi son principe « narratif » ; puis on doit bien lui reconnaître une fantaisie décalée qui a aussi le mérite d’interroger perception et représentation du monde.
Comme d’autres, Léger tremblement du paysage est un film plié en deux. Ce pli est en l’occurrence d’une grande netteté. Point de cohabitation entre fiction et documentaire ici, juste un avant et un après tremblement, comme l’indique le titre. Et ça se passe pile au milieu, comme le nez sur la figure ou un peu comme ces affreux pantalons à pinces. À sa suite, les protagonistes entrent en révolution, les comportements obsessionnels de chacun sont désordonnés, à la manière d’un cosmos renversé.
Avant ce bouleversement, Philippe Fernandez installe un monde futuriste rétro kitsch avec quelques vieilles bagnoles et babioles, une architecture des années 1950. Ce qui fait que tout ça ressemble autant au naufrage d’un monde vaniteux, disons celui des « Trente Glorieuses », qu’à un décor de science-fiction. Léger tremblement du paysage est peuplé de quelques êtres, pas vraiment des personnages, dont les liens relationnels s’avèrent faibles tant ils sont tout à leurs occupations monomaniaques : peindre les nuages pour l’un, mener des recherches en morphogenèse pour une autre, régler une voiture de course ou faire le guet tous les soirs face à un écran neigeux pour d’autres. Et pendant ce temps, des dindons s’ébrouent dans de la limaille de fer et deux gamins, dont l’un n’a que le mot « enculé » à la bouche, confectionnent une machine à remonter le temps avec un casque de coiffure.
Les univers de chacun se frôlent, mais entrent peu en relation, ils forment des entités renfermées sur elles-mêmes. Encore que le son fait parfois office d’interaction, le silence du peintre contemplatif est ainsi parasité par le boucan du bolide du pilote. Tout ceci est ordonné par un montage alterné, avec un traitement visuel marqué par la netteté, la fixité, des cadrages soigneusement cadrés et composés (intéressant travail sur la couleur). On pense un peu à Jacques Tati et surtout, beaucoup, à Luc Moullet, et pas seulement parce que « Pop corn » des Hot Butter, comme dans une fabuleuse scène de plage de Ma première brasse, se met à retentir. Il y a quelque chose du faux rythme moulletien, particulièrement dans le systématisme de l’alternance d’un montage qui semble calqué sur celui du film Les Naufragés de la D17, dans lequel on retrouvait aussi cette tendance très prononcée à la monomanie des personnages, notamment celle d’un pilote obsédé par son bolide.
Si Philippe Fernandez est certainement influencé par Luc Moullet, il s’intéresse surtout et beaucoup à la science, dont les ouvrages de vulgarisation sont une source d’inspiration pour lui. Mono tâches, comme incapables d’entretenir des relations et dénués de psychologie ; les personnages sont ainsi rendus à une forme de post-humanité, semblables à des artefacts ou à des créatures qui vont donc être soumises à un aléa : le fameux séisme, provoqué en fait par une comète venue percuter la planète. On le sait, un phénomène physique peut entraîner la disparition d’une espèce (voir nos amis les dinosaures), modifier ou accélérer l’évolution. Ce « tremblement » occasionne un nouveau point de vue qui offre la possibilité de porter un regard oblique sur la réalité, au moins celle vécue dans le film. Le sage peintre de nuages devient un adepte d’une sorte d’action painting, le Fangio psychorigide se passionne pour la science, notamment la géométrie fractale ; aussi se met-il à astiquer autre chose que le levier de vitesse de son auto… Quant à la chercheuse en morphogenèse, elle devient pour lui un authentique objet de désir… Point d’extinction du règne humain donc, mais des êtres, ces choses élastiques à l’image du temps, qui reconsidèrent leur perception et leur représentation du monde. Que celui qui ne perçoit aucun bienfait au désordre se voie jeter la première météorite.