Plongée sympathique dans l’univers glandouillard et rigolard d’une bande de potes musulmans, Les Barons promène son art de la vanne à deux balles dans un quartier bruxellois sur le ton de la comédie badine. Si le scénario est plutôt téléphoné, le rythme bien mené et le goût de l’absurde et de l’autodérision font de ce premier film une jolie friandise pas désagréable.
Dans la vie, les « Barons » ont une philosophie : chaque être humain vient sur terre avec un nombre de pas déterminés à son compteur. Une fois ce compteur à zéro, on disparaît. Donc, faut pas s’en faire, faire avec et laisser venir. Faire le moins de pas possible pour ne pas risquer d’entamer ce capital. « Glander plus pour vivre plus. » Sauf que. À côté d’eux, il y a le monde, une vie à bâtir, la pression familiale. Pas de place pour ses anarchistes non violents d’un nouveau genre, qui, par leur « philosophie », sont des rebelles dans leur style. Et qu’Hassan, Mounir et Aziz vont devoir se choisir des destins, malgré le podomètre. Hassan (excellent Nader Boussandel), rêve de monter sur scène pour raconter des histoires, de faire rire les gens, passe par l’opposition familiale avant de renoncer à son rêve pour faire plaisir à son père puis revient à son désir. Aziz finit par trouver sa voie juste à côté de l’endroit où il passait ses journées de glande. Mounir, quant à lui, ne sortira pas de son statut de baron, « le King de rien ».
Hautement autobiographique, le premier film de Nabil Ben Yadir s’adresse clairement à ceux auprès de qui il a grandi, qu’il a côtoyé. En réalisant Les Barons, il leur dit de se réveiller, de faire le premier pas, d’aller vers leurs rêves. Un message qui pourrait certes apparaître bien gentillet, sans plus. Sauf qu’en s’emparant de la caméra au lieu de rêver de le faire, Nabil Ben Yadir propose une réalisation honnête et souvent très drôle. Certes, le scénario est assez téléphoné (le fils qui se range aux désirs paternels après l’accident du père, la fille inaccessible qui en fait aime le héros en secret…), mais l’auteur mène bien sa barque en usant d’un rythme ni trop dans l’immobilité de la glande, ni trop dans l’aspect « clipesque » qui est souvent l’apanage du film de « jeunes des quartiers ». Qui plus est, les rois de la glande sont aussi des rois de la vanne pourrie dont l’effet est d’autant plus drôle qu’elle est racontée assis au milieu du tas de légumes de l’épicier du quartier (« c’est quoi le prénom de la cigale dans La Cigale et la fourmi ? Steven ! », « de quoi tu t’mêles, Gibson », on encore faire deviner Le Retour du Jedi en jetant de l’ail…). Bien écrits, les personnages sont portés par des comédiens convaincants. Outre les trois « barons », le personnage du père d’Hassan, le papa arabe à la fois sévère et bonhomme, lui aussi docteur ès vannes dans ses moments (« Eh, David, dit-il à un client juif qui lui achète ses titres de transport, tu prends le métro parce que le temps est maussade ? »), devient le réceptacle de toutes les peurs d’Hassan et surtout de la mise en scène de quelques uns des passages du film les plus réussis, où les fantasmes du fils se retrouvent face au père transformés en tyran sanguinaire. Le motif de l’artiste que voudrait être Hassan, déployé entre autres dans ces scènes, est la trouvaille la plus réussie des Barons, notamment car elle met en scène un cabaret du fin fond d’une impasse aux numéros plus absurdes les uns que les autres, et où le patron (Édouard Baer), se nomme Jacques… Nietzsche.
Ce goût de l’autodérision, dans une lignée très belge, irrigue tout le film. La belle surprise des Barons vient de cette propension à réaliser un film sur la communauté maghrébine, la vie de quartier, mais totalement à l’opposé des clichés habituels sur fond de violence et d’anti-racisme souvent convenu. Les Barons n’est pas pour autant dépourvu de certains clichés et maladresses, il emprunte plusieurs de ses motifs à des choses déjà vues (par exemple, l’épicier qui n’est pas sans rappeler celui d’Amélie Poulain…), mais son humour et la tendresse que dégagent ses personnages en font une jolie comédie douce-amère qui sait éviter l’écœurement.