Pour son septième long-métrage de fiction, le réalisateur italien Gianni Amelio a choisi le thème encore tabou de l’handicap physique et dresse le portrait d’un père qui, quinze ans après la naissance de son fils, apprend seulement à ne plus avoir honte de sa chair.
Paolo, jeune garçon handicapé de quinze ans, est élevé par son oncle et sa tante depuis la mort de sa mère à sa naissance. Son père, qui ne l’avait pas vu jusque-là, entreprend de le rencontrer pour le mener lui-même à l’hôpital de Berlin où l’adolescent doit se rendre tous les ans. Dès la première scène du film, le ton est donné. Gianni, le père trentenaire, est terrassé par la honte. Ce fils qu’il souhaite aujourd’hui rencontrer, il n’a jamais eu le courage de le voir grandir, de l’accompagner dans les premières épreuves de la vie, souvent les plus difficiles. Aujourd’hui, s’il sait qu’il ne peut en rien rattraper le temps perdu, Gianni souhaite s’investir. Il retrouve son fils dans le train qui les conduira à Berlin. D’abord intrigué, voire fasciné par cette rencontre peu commune, le jeune père reprend vite conscience de l’handicap de son fils, de ce fossé qui jadis les sépara et reste toujours une entrave à ce rapprochement tant espéré.
Avec une grande délicatesse non dénuée d’une certaine sensiblerie, le réalisateur observe minutieusement Gianni apprivoiser ce fils qui lui est si étranger. Collant au plus près de leurs rapports, la caméra s’immisce, parfois avec une certaine impudeur, dans ce mélange d’amour et de dégoût qui constitue la trame un peu trop linéaire de ce long-métrage quasi documentaire. Gianni n’est pas encore capable de formuler cette gêne trop souvent ressentie devant le regard des autres, cette culpabilité de père abandonnique qui ne pense qu’au regard de l’autre avant de penser au bonheur de ce fils aujourd’hui retrouvé. Avec ses allures de petit road-movie, le film nous entraîne successivement dans une série d’épreuves où le jeune père prend progressivement conscience de son amour, mais d’un amour encore trop fragilisé par cette nécessité de se faire pardonner, à tout prix. À l’hôpital, Gianni rencontre une autre femme dont la fille présente encore un handicap physique et mental bien plus important que celui de son fils. Interprétée tout en nuance par la polyglotte Charlotte Rampling, cette femme, qui n’a d’abord qu’un rôle d’observatrice assez complaisante, révèle finalement des sentiments ambigus et formule, avec une honnêteté désarmante, son impuissance parfois agacée face au drame que vit quotidiennement sa fille.
L’ambition du réalisateur est on ne peut plus louable. D’un sujet particulièrement douloureux et encore tabou qui effraie bon nombre de réalisateurs et de producteurs, il en tire la substance principale de son film. Se refusant à toute complaisance sur la reconnaissance nécessaire des handicapés dans une société où la productivité prime sur l’être, il s’intéresse plus précisément à la gêne des parents. La caméra n’esquive aucunement les gros plans sur l’enfant non désiré, les lunettes de l’adolescent fonctionnant comme autant de miroirs de notre (mauvaise) conscience. Mais le volontarisme évident de l’auteur se heurte au jeu de Kim Rossi Stuart (Gianni, le jeune père) qui manque singulièrement de nuances. Privilégiant le pathétique des situations, d’où un certain appel à une compassion malvenue, le propos perd de sa verve et de son audace, nous rappelant malheureusement les oubliables Rain Man et autres Huitième Jour.