Urna, chanteuse originaire de Mongolie-intérieure – région attachée à la République Populaire de Chine – se rend en Mongolie dite extérieure pour tenter de retrouver les paroles des « Deux Chevaux de Gengis Khan », une chanson jadis gravée sur le violon brisé que sa grand-mère lui a légué. Au cours de son enquête, elle se rend compte que la culture mongole est en voie d’extinction. On le comprend rapidement, d’autant que c’est assumé d’emblée : tout le scénario du film repose sur une métaphore assimilant le violon brisé et mutique au peuple mongol. Ce niveau de lecture reste malheureusement trop présent du début à la fin du film pour permettre à la fiction de fonctionner à plein régime.
On reconnaîtra pourtant volontiers que les talents de Byambasuren Davaa lui donnent a priori les moyens de donner vie à son propos par l’image. Elle nous amène d’une séquence à l’autre par des biais inattendus, nous plongeant soudain au milieu d’une situation énigmatique, éclaircie seulement quelques plans plus tard. Cette façon peu convenue, agréablement elliptique, de mener son récit confirme l’impression générale d’une notable maîtrise des moyens cinématographiques et d’une capacité à faire vivement exister les situations qu’elle dépeint sur le plan de l’expérience sensible.
La façon dont le film aborde la question de l’identité culturelle n’est pas dénuée d’intérêt, elle non plus. Les Deux Chevaux de Gengis Khan fait douloureusement sentir la méconnaissance à laquelle peut mener l’acculturation : se promenant dans un marché en tenue traditionnelle, Urna passe pour une touriste, et lorsqu’elle entonne un chant en mongol ancien, ses compagnons de route croient que ces mots inconnus sont chinois. Mais la scène la plus juste et la plus touchante est sans doute celle où, se rendant à un mariage dans le but de trouver des personnes qui pourraient connaître la chanson qu’elle cherche à exhumer, chacun des anciens qu’elle interroge lui répond qu’il a « oublié ». C’est là l’un des rares moments du film que la réalisatrice renonce à rendre immédiatement explicite – chose faite un peu plus tard, lorsqu’Urna rappelle que, pendant la Révolution culturelle, se laisser aller à chanter en mongol était passible d’emprisonnement.
Tout le problème du film est là : si la mise en scène sait être subtilement évocatrice, Byambasuren Davaa peine à mettre ses potentialités au service du message qu’elle cherche à communiquer, laissant celui-ci se manifester de la façon la plus plate. Son propos s’énonce sans détours, privant le spectateur du plaisir d’y aboutir par ses propres moyens. Les Deux Chevaux de Gengis Khan est finalement un objet assez bâtard: la teneur documentaire qui émane de certaines scènes est annulée par le jeu de la fiction, qui est lui-même entravé par les visées informatives du projet. On aura, certes, bien compris à la fin du film que chaque culture est un instrument de cohésion et de force qu’il est dangereux de laisser périr, on aura également assisté à quelques jolis moments de cinéma, mais ces deux pôles auront écartelé le film dans des directions contradictoires plutôt que de travailler ensemble à son élaboration.