Montréal, 1926. Albert, jeune émule de Valentino, voudrait rejoindre Hollywood, et compte sur une lettre de recommandation de la grand-tante de Mary Pickford. En échange, la vieille tragédienne avide de chair fraîche lui impose un baiser… et en meurt. Albert prend le train, rencontre Grace (Émilie Dequenne), féministe et fille d’un Mormon – elle a soixante-quinze sœurs. Puis notre pimpant antihéros se retrouve malgré lui au milieu d’un désert hanté de cris de mouettes, poursuivi par le fantôme de la Pickford et accompagné d’un golfeur érotomane. Les quelques bonnes idées du film sont noyées dans une bouillie filandreuse et convenue.
Les États-Unis d’Albert est un film à problèmes. D’abord, les dialogues sont d’une grande maladresse. Peu drôles, comme quand Albert et son compagnon golfeur sont perdus dans le désert : « Savais-tu que l’herbe penche toujours vers l’ouest ? — Où vois-tu le moindre brin d’herbe ? — C’est sûr que tu me prends un peu au dépourvu. » Ou même vulgaires : « Vous êtes condamné à être exemplairement désinfecté de vos morpions. Les autres femmes ne voulaient pas parler, mais Gladys Walter a craché le morceau. — Après tout ce qu’elle a avalé ça ne m’étonne pas. » Et quand les dialogues tiennent à peu près la route, ils sont desservis soit par une interprétation lymphatique et boursouflée, soit par une réalisation on ne peut plus plan-plan. L’exception Émilie Dequenne confirme la règle. Comme toujours, elle livre une composition au-dessus du lot, presque émouvante : qu’allait-elle faire dans cette galère ?
Mais une galère possède le sens du rythme… et ce rythme fait cruellement défaut au film d’Alain Forcier. Un exemple parmi d’autres : Grace et Albert se retrouvent à parler côte à côte, depuis deux fenêtres contiguës du train. On passe de l’un à l’autre en plan serré par des panos, tantôt de gauche à droite, tantôt de droite à gauche. Mais le pano, semble-t-il, était trop long car sur plusieurs allers-retours, le mouvement de caméra est coupé au montage en plein milieu. Il s’agissait sans doute de rattraper après coup une erreur de rythme, mais cela dénote un véritable problème de dosage du temps dans le film : à vouloir aller trop vite d’une séquence à une autre, rien ne s’installe réellement et les scènes sont bouclées à l’emporte-pièce.
On comprend bien que le réalisateur a voulu jouer la carte du braque et de l’incongru. Mais l’absence flagrante de souffle poétique, de beaux plans, et de véritables surprises narratives grèvent l’entreprise aussi sûrement qu’un sumo sur un avion en papier. Alain Forcier a recours à des espaces imaginaires déjà surinvestis : un train, un désert, un bateau planté sur la terre ferme, les studios hollywoodiens. Mais aucun traitement original ne vient justifier un tel choix : choisir un ton loufoque ne dispense pas d’être imaginatif. Les États-Unis d’Albert, au lieu de proposer une traversée, font tourner en rond : les personnages vont et viennent, sans véritable évolution, dans une farandole sans but avéré.
Autre problème : les références très pesantes, pour un film si peu cinématographique, aux débuts du cinéma. On aura droit au débat sur le passage au parlant, aux voitures et aux trains de studio, aux actus en noir et blanc, aux flipbooks. Tout cela est peu subtil.
Le kitsch est certes assumé, à travers des costumes outranciers ou ces petites étoiles nimbant les apparitions du fantôme de la Pickford ; mais on est finalement plus proche d’un spectacle de fin d’année qu’autre chose, avec costumes et confetti, apparitions du fantôme, et l’histoire d’amour au happy-end attendu. Quand le récit se termine dans un hôtel perdu en plein milieu du désert, tenu par un couple dont le mari s’est enfermé sur un bateau perché en l’air, on continue à se répéter : à quoi bon ? Tout cela a un air de déjà-vu-déjà-dit. Voilà une fantaisie de plus, qui ici tourne à la vaine caricature. La mise en scène, elle, tourne à vide. Nous, on se tourne les pouces.