Après avoir traité l’année dernière du génocide rwandais dans J’ai serré la main du diable, Roger Spottiswoode continue sa tournée mondiale des crimes humanitaires en embarquant à bord de son gros cargo hollywoodien toute une ribambelle de jeunes et mignons orphelins chinois. Il s’agit ici de les transbahuter d’un point à l’autre de la Chine afin de les mettre à l’abri des exactions de l’envahisseur japonais, vil et retors. Les deux personnages principaux du récit – occidentaux donc amicaux et humanistes – s’en chargent et attellent le convoi chancelant à travers les montagnes et les gués, dans un déluge de mièvrerie et de lyrisme aux relents nauséeux.
Roger Spottiswoode nous a habitué aux récits improbables : À l’aube du sixième jour et Arrête ou ma mère va tirer sont à son palmarès. Dans Les Orphelins de Huang Shi, il n’est pas question de clone à éliminer, d’industrie génétique paranoïaque ou de mère-poule psychotique mais, et c’est peut-être plus embêtant, d’une histoire tirée d’un fait réel. Ou plutôt d’« Une histoire vraie » comme le martèle pompeusement la campagne de promotion. Ce qui ne provoque pas seulement un effet publicitaire d’appel mais aussi un devoir de respect et de dignité face à l’événement et aux individus engagés dans le récit. Si le manquement à ce devoir ne semble pas prémédité, il n’en est pas moins évident, tant le traitement du sujet n’admet aucune nuance et profère un discours sous-jacent teinté de manichéisme et d’ethnocentrisme occidental.
C’est donc l’histoire d’un dénommé George Hogg, photographe britannique envoyé en Chine durant les années 1930. Les autorités nippones ne goûtent guère à son attachement en faveur de la liberté de la presse, et c’est face à ce constat alarmant que le journaliste intrépide doit trouver une cachette loin de toute agitation. Quoi de mieux qu’un orphelinat abandonné et oublié de tous ? Abandonné par les autorités en déroute mais pas par ses occupants : une soixante d’enfants y végètent encore, en compagnie des parasites et d’une servante accablée par le manque de moyens à sa disposition. Une jeune et jolie infirmière, britannique elle aussi, vient de temps à autre leur rendre visite. Cette même femme n’est autre que celle qui a ourdi le déplacement de Hogg dans cette vallée quasi déserte : un premier geste de solidarité qui en appellera inévitablement d’autres d’une nature plus intime. Car oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, les deux jeunes et sympathiques héros vont se retrouver très vite dans la même couche crasseuse… Un autre personnage – Chinois gentil, serviable mais un peu cocu – sert simplement de contrepoint pathétique à l’idylle des deux romantiques occidentaux.
Face à la progression régulière des troupes nippones à l’intérieur du pays, l’orphelinat se trouve rapidement à portée de tir ennemi. Les deux tourtereaux n’écoutent que leur courage et décident de partir à pieds et à cheval vers des endroits plus propices à l’accueil d’une soixantaine d’enfants (tous gentils et tous beaux, sauf un mais, dans le fond, il est beau et gentil quand même). Cette promenade est l’occasion de mettre en valeur les deux éléments les plus réussis du film, la photographie et le cadre. S’ils ne se déparent pas de l’emphase ampoulée caractéristique du film, ils arrivent régulièrement à l’aérer grâce à des décors magistralement choisis et judicieusement mis en lumière. Le directeur de la photographie, Zhao Xiaoding, réussit à créer des ambiances et des climats s’adaptant parfaitement aux situations. L’orphelinat, ancien temple à cour carrée, est ainsi tour à tour inquiétant – voire morbide – et sous un autre traitement de couleurs rassurant et protecteur. Le film n’est pas honteux d’un point de vue technique, c’est plutôt dans le traitement éthique et narratif que Spottiswoode se perd dans des dédales de sensationnalisme outré. Le réalisateur n’assume pas la portée intimiste et introspective du cheminement du personnage George Hogg, et préfère saupoudrer les instants de tension par d’inutiles scènes de courses-poursuites ou de bagarres armées.
Si les tares du film s’arrêtaient là, il ne serait question que d’un film exotique de plus, misant sur le spectaculaire et la rigidité linéaire du scénario. Mais le film va plus loin dans la nocivité. Spottiswoode propose une narration niant toute altérité : les codes, les comportements, les dialogues sont calqués sur un modèle purement occidental, ne prenant aucunement en compte les données du terrain – celle de la Chine des années 1930. À aucun moment il n’est question d’une ébauche d’analyse sur la réalité de la vie dans cette partie du monde. Le récit se contente de plaquer ses vérités sur un matériau devenu inerte car désincarné. A l’écran, c’est le modèle uniformisé d’une mondialisation sans heurt, sans aspérité qui triomphe, mettant à terre toute singularité. C’est consterné et un peu honteux que l’on finit par comprendre que c’est par l’entremise des valeureux Britanniques, véritables missionnaires messianiques, que les petits enfants chinois vont s’éveiller à la civilisation et perdre leurs comportements sauvages. C’est atterré que l’on finit par lire le message sous-jacent, celui d’un impérialisme culturel vaniteux et condescendant.