À mi-chemin entre la fiction et le documentaire, le premier long-métrage de Lise Akoka et de Romane Guéret repose sur une mise en abyme : on y suit un tournage se déroulant dans la cité Picasso, située à Boulogne-sur-Mer. Gabriel (Johan Heldenbergh), le réalisateur pilotant le projet, a délibérément choisi d’engager ceux qu’on appelle « les pires », c’est-à-dire ceux qui, en plus d’une position sociale peu enviable, ont droit au mépris des autres habitants. Les acteurs non-professionnels et l’équipe du film élaborent de concert une mise en fiction de la vie locale, nouant par la même occasion des amitiés à la fois transclasses et intergénérationnelles. On l’aura compris : avec ce récit-miroir, il s’agit d’interroger la manière dont le cinéma social s’inscrit lui-même dans les rapports de classes, en particulier quand il prétend représenter les catégories populaires.
Si l’on définit l’ethnologie comme la science des relations entre l’observateur et l’observé, alors le projet de Lise Akoka et de Romane Guéret en relèverait en partie. Les Pires a pour mérite de ne pas adopter une position de surplomb à l’égard de ses jeunes acteurs et actrices, et de les inscrire dans un rapport d’horizontalité vis-à-vis des nouveaux venus, avec lesquels se tisse une relation de contamination créative. Cette rencontre est aussi le produit d’une mise en scène très homogène – qui s’avère, pour tout dire, assez académique – reposant souvent sur des gros plans de visages et manifestant un désir de réalisme quasi-documentaire (la caméra portée semble parfois même trembler un peu artificiellement). C’est plutôt ailleurs qu’il faut trouver l’intérêt du film, dans sa troupe d’acteurs essentiellement débutants. La spontanéité exubérante de leur jeu, le naturel avec lequel ils parlent – parfois poussés à l’excès dans des scènes heureusement rares qui les transforment presque en bêtes de foire – confèrent par endroits au film l’imprévisibilité de l’adolescence, dans des séquences qui peuvent d’un coup basculer de l’enthousiasme juvénile à une colère incontrôlable frappée du sceau de la misère. Les Pires trouve de la sorte ponctuellement un rythme et une vigueur qu’entrave hélas in fine l’extrême sagesse de sa facture.