Dans la première scène des Rois du monde de Laurent Laffargue, on aperçoit en gros plan un lapin mort sur le sol puis une voiture de police en rase-campagne qui s’engage avec crainte dans un chemin sauvage. Ce prélude qui, de manière très incongrue, rappelle True Detective désigne d’emblée l’intention du film : celle d’une déterritorialisation. De fait, le réalisateur ancre son histoire à Casteljaloux, village du Sud Ouest où il a passé son enfance, et il accorde une place importante aux paysages et aux figures locales. Malheureusement, le programme régionaliste s’accompagne d’un passéisme inadapté à une intrigue contemporaine. Jeannot, incarné par Sergi Lopez, sort de prison et veut retrouver Chantal, son ancienne amante, qui a inspiré son crime passionnel. Malheureusement, celle-ci a retrouvé l’amour avec Jacky Chichinet (Éric Cantona) qui fait des projets d’avenir puisqu’il vient d’acquérir sa propre boucherie et s’apprête à devenir patron comme son père. Le drame, on le comprend, va donc consister en une difficile tentative de reconquête.
Le village d’antan
Malheureusement celle-ci est presque invraisemblable tant les personnages et leurs préoccupations semblent émerger d’une période fantasmée qui serait peut-être plus proche des années 1950. Au chapitre de la nostalgie, on trouve le personnage de l’homosexuel qui arbore un foulard autour du cou (pour mieux se signaler peut-être), les jeunes gens qui s’expriment avec un argot ancestral et enfin les femmes qui appartiennent aux hommes (« Tu sais qu’elle appartient à Chichinet maintenant ? » dit-on à Jeannot). Chantal est, en effet, l’objet d’un combat violent entre deux forces de la nature, qu’incarnent par leur physique imposant les acteurs principaux. Par les nombreux jeux de regards et les bagarres de saloon qu’il implique, le triangle amoureux semble vouloir faire signe vers le western. L’affrontement pourrait avoir son charme si les métaphores visuelles de la passion n’étaient pas aussi éculées et sans nuances. L’amour de Jeannot, par exemple, est tour à tour représenté par un tapis de roses déposé sur le sol, une réminiscence de l’être aimé nimbée d’un halo angélique, ou encore une traînée de sang écarlate. Chez les jeunes, le désir éclate aussi quand on tire à la carabine puis il n’oublie pas de se baigner d’une lumière rouge lors du passage à l’acte.
Comédie et comédiens
Par ailleurs, la gravité à laquelle on voudrait nous faire croire en introduisant dès le début un personnage hirsute et agressif (Sergi Lopez) ne résiste pas à l’examen. Armé d’une hache, il inspire initialement la terreur mais sa caractérisation ne cesse d’osciller par la suite entre plusieurs tonalités. Il incarne tantôt un barbare sanguinaire tantôt un sympathique et grotesque Sancho Panza tombant d’ivresse dans l’eau du lac ou revenant sur son éducation picaresque au cours de laquelle on étalait le vin rouge sur des tartines. Cette ambiguïté dans son jeu crée un problème d’identification. Tout comme les accès brutaux d’hémoglobine, les soubresauts du personnage le mettent à distance. Le spectateur ne peut ressentir ni empathie ni rejet, seulement de l’indifférence quant à son devenir. La tragédie n’advient pas et ceci est d’autant plus paradoxal que les objectifs du personnage restent, quant à eux, parfaitement monolithiques.
On ne sait jamais si ce comique qui s’immisce dans le drame tient de la parodie. En effet, le réalisateur tient une sorte de représentant dans l’intrigue en la personne de Céline Sallette, caissière au passé de comédienne, figure légèrement marginale dans l’univers de Casteljaloux. Également metteur en scène, Laurent Laffargue aborde avec elle cette thématique du spectacle qui lui semble plus proche et qu’il réussit à traiter bien mieux que le reste. Dans l’intrigue secondaire, Céline Sallette donne, en effet, des cours de théâtre à des lycéens et encourage l’un d’eux à poursuivre sa vocation en présentant l’examen du Conservatoire de Bordeaux. Avec intensité, elle donne par exemple une leçon de jeu en incarnant les deux personnages d’une scène du Tartuffe devant des élèves éberlués. Cependant, il est difficile pour le spectateur de concilier cette image de fougue et d’audace avec son portrait en femme soumise au futur boucher. Malgré tout son talent, l’interprétation de l’actrice donne l’impression schizophrène qu’elle joue dans deux films différents, que dans les scènes de ménage, Cantona lui-même a du mal à croire qu’il s’agisse de sa compagne, qu’elle reste une intermédiaire maladroite entre l’auteur et l’univers de son film. Des Rois du monde, on pourrait donc dire qu’il ressemble à la tournée d’une troupe dans un village : elle le visite sans l’habiter.