Kogo, monteur japonais vivant en Normandie, arrive à Pantin pour rendre visite à un ami quelques jours, le temps, à ses dires, de prendre part à un colloque sur « l’échec en art ». Sa petite retraite loin du travail est vite bousculée cependant par une suite de rencontres féminines et un appel de son patron, qui sait qu’il est à Paris et s’empresse de lui proposer un nouveau projet. Autant de complications face auxquelles le protagoniste possède une solution à toute épreuve, la même que celle qui l’a conduit à Pantin : fuir.
Courage, fuyons
Avec Les Rues de Pantin, Nicolas Leclère s’attaque à un portrait de la (toute) proche banlieue, vue par le regard dépaysé d’un Japonais. Ce sont tantôt des déambulations attirant l’attention sur les curiosités de la ville (notamment la gigantesque antenne radio de Romainville), tantôt des rencontres étonnantes qui rythment l’histoire : une styliste excentrique (vêtue d’un prototype d’habit Tour Eiffel) explorant la petite couronne, une jeune journaliste (Astrid Adverbe) qui s’avère être logée elle aussi chez l’ami de Kogo, la réapparition d’un ancien amour bien décidé à mettre la main sur le protagoniste. Sans compter Lou Castel, convoqué par le patron de Kogo pour un projet d’adaptation d’un texte de Gherasim Luca. Dans ce petit cadre surréaliste, Pantin apparaît comme territoire à redécouvrir, entre prolongement immédiat de Paris (le film s’ouvre à la station Église de Pantin) et campagne (la chambre chauffée au poêle et les essais maladroits de Kogo pour couper du bois). La perspective est parfois celle du flâneur, incarné par ce cinéaste japonais cherchant un refuge loin de toute activité (évidemment, le colloque n’est qu’un prétexte), et celle de l’esthète, dans les multiples figures qu’il croise sur son chemin.
Discrétion affectée
Le film accorde d’ailleurs une importance prééminente aux mots, et ce dès son ouverture, où Kogo, se trompant d’orthographe, atterrit non pas rue Jacquard mais rue Jacquart (près du cimetière de Pantin) et entame sur ce malentendu sa déambulation dans la ville. Rien d’étonnant donc à ce que les références littéraires, et notamment poétiques, abondent (Gherasim Luca, Louis-René des Forêts). Le réalisateur semble se placer sous le patronage de Félix Fénéon, critique littéraire connu pour sa justesse (notamment sur Laforgue et Rimbaud, dont il reconnaîtra d’emblée le génie) autant que pour son talent d’écrivain minimaliste, auteur de recueils de nouvelles en trois lignes où la prose rencontre la poésie.
C’est cette synthèse que Leclere vise, en privilégiant dans le cadre un peu banal de la banlieue une esthétique du silence, de la discrétion, des petits riens suscitant la curiosité. Esthétique qui, malheureusement, est mise à mal par la pléthore de références qui surchargent le film. En ce sens, la longue divagation que l’ami lettré de Kogo lui livre à propos de Félix Fénéon expose le paradoxe des Rues de Pantin : celui de revendiquer de manière ostentatoire une volonté d’être discret… Tantôt, le risque est celui de la didascalie (la longue description du métier Jacquard par la styliste notamment), ce qui transparaît également dans Comment dire, court-métrage introduisant le film et consistant proprement en la mise en scène – trop illustrative pour faire mouche – d’une page de l’auteur. Tantôt, du dialogue fleurant les belles lettres : à cet égard, seule Astrid Adverbe parvient (avec brio certes) à éviter l’écueil d’une diction souvent affectée. Et si le protagoniste garde un côté attachant, par ce décalage qui lui permet de fournir un petit contrepoint à toute cette culture qui l’entoure (notamment dans une jolie scène où il s’ennuie ferme devant une vidéo-performance de Gherasim Luca), le portrait de banlieue poétique et pittoresque que Leclere nous livre semble en revanche trop fantasmé (et peut-être trop parisien) pour qu’on y croie.