Grand succès populaire du cinéma uruguayen, Les Toilettes du pape est une œuvre hybride, à la fois chronique sociale et comédie décalée. En dépit d’une volonté un peu trop manifeste – et un poil exotique – de rendre justice aux pauvres, victimes obligées du système, le film sait s’affranchir d’un certain pathos.
Uruguay, 1988 : Melo est un petit village à la frontière brésilienne où les quelques habitants tentent tant bien que mal de survivre grâce à la contrebande. Mais cette année-là, à l’occasion de la venue exceptionnelle du Pape qui doit attirer plusieurs dizaines de milliers de visiteurs, chacun croit pouvoir faire fortune en montant un stand. Certains se sont même endettés au point d’hypothéquer leur maison. Beto, l’un d’eux, pense alors avoir l’idée de génie de construire les seuls toilettes modernes mais payants du village pour faire fortune. Pour sa femme, le dilemme est complexe : pieuse, elle vit assez mal le fait de tirer profit de la venue du Pape mais accepte finalement de céder toutes ses maigres économies lorsque les financements viennent à manquer.
Succès phénoménal dans son pays d’origine, Les Toilettes du pape est un film hybride. À la fois réaliste et désenchanté lorsqu’il s’agit de décrire le quotidien difficile de ces villageois écrasés par la joute du capitalisme, le film aurait pu facilement se contenter de jouer la carte d’un pathos un rien déplacé. Mais plutôt que de jouer sur l’émotion facile et immédiate, le réalisateur préfère emprunter de nombreux chemins de traverses (souvent comiques), laissant son étrange film ralentir ou accélérer au gré des (très) nombreuses péripéties de Beto. Refusant le statisme, la mise en scène épouse au plus près chaque mouvement des personnages au point d’en dégager ce qu’il y a de plus absurde. Si ce parti-pris a pour intérêt de ne prendre aucune distance avec les personnages – et donc de transformer un simple déplacement à vélo en course-poursuite contre la mort –, cette absence totale de distance joue également sur un effet de décalage sur ce qui peut paraître incongru. Transporter un canapé sur le porte-bagage d’un vélo n’a par exemple rien d’exceptionnel pour Beto lorsque pour le spectateur occidental, c’est l’inverse.
Du coup, on peut reprocher aux réalisateurs d’avoir fait preuve d’un certain systématisme qui tombe parfois dans une forme d’exotisme dans la représentation de ces pauvres villageois. Ce que sous-titre la plupart des scènes n’est rien d’autre qu’un « ils sont pauvres mais regardez comme ils se débrouillent » prompt à faire rire un spectateur peut-être trop culpabilisé. Du coup, lorsque le temps est venu pour le réalisateur de s’inquiéter sans aucune distance comique de leur sort après l’échec de l’entreprise, il est difficile de ne pas y voir une petite forme de condescendance qui gâche momentanément le plaisir. Cette invitation à considérer soudainement le désastre provoqué par tout un lot de fantasmes liés à la venue du Pape semble d’autant plus mal amenée que le réalisateur n’hésite pas un instant à se défaire de cette dramatisation mal amenée pour retrouver la veine comique et décalée des premières scènes dans un épilogue savoureux. En dépit de ces petites faiblesses, Les Toilettes du pape reste néanmoins une vraie et jolie curiosité à découvrir.