Noël approchant, un certain cinéma français a souhaité renouer avec la tradition du conte social au dénouement souriant. Le blog d’une employée d’hypermarché, en partie publié par Stock dans un ouvrage du même nom, fournit aux Tribulations d’une caissière l’arrière-plan social nécessaire, mâtiné d’une romance improbable (mais déjà vue) entre bourgeois et prolo. Ou comment desservir ceux que l’on prétend défendre.
Avant l’extinction des lumières, on n’avait rien contre « une-comédie-populaire-de-Noël-à-la-Capra » qui aurait pu avoir le mérite de réinjecter un peu de débat et de combat social dans un genre trop souvent porté sur un humour de sketch. Il faut le concéder, quelques réalités prosaïques sont bien présentes, telles la ritournelle des lecteurs de codes-barres, la vie privée limitée par le maigre salaire, ou les rivalités entre salarié(e)s provoquées par l’incontournable management et ses formules qui masquent l’aliénation : SABAM, soit Sourire/Amabilité/Bonjour/Au revoir/Merci, le refrain imposé aux caissières.
Évidemment, le film de Pierre Rambaldi penche plus du côté de la comédie romantique américaine que du pamphlet social. Le problème réside dans le fait que le long-métrage échoue sur les deux tableaux : Les Tribulations d’une caissière n’est absolument pas drôle, et ne se paye même pas le luxe d’être provocateur. Dans ce qui se voudrait le climax de l’exposition des dures conditions physiques, la voix off de Solweig (Déborah François), la fameuse blogueuse, récite son texte : « Une caissière soulève 800 kg d’articles par heure, soit 5 tonnes par jour, soit le poids d’un éléphant. » Les écrits originaux de la blogueuse, qui avaient suscités une vague de débrayages en leur temps, ne sont ici qu’une décoration de plus, pour pouvoir inscrire, semble-t-il, le film dans la tradition de Frank Capra. D’ailleurs, les effets réels de ces débrayages ne seront jamais évoqués, même via quelques lignes avant le générique. On se doute qu’il n’y a pas eu d’améliorations sociales, mais mieux vaut taire la réalité, pour le bien du conte de fée. Là où Capra parvenait à éviter le misérabilisme et l’apitoiement en fondant ses films sur un personnage central qui canalisait l’attention du spectateur et réveillait sa conscience de l’injustice sociale (évidemment, le George Bailey de La vie est belle), Rambaldi échoue parce que ses personnages sont vides, et présents uniquement pour servir les intérêts d’une histoire d’amour sans saveur.
À cette vacuité des dialogues et des relations s’associe, ce qui est beaucoup plus grave, une propension à la superficialité qui évite largement tout dilemme moral un tant soit peu épineux : quand la caissière fricote avec un bourgeois (Nicolas Giraud et son sourire à l’envers) et qu’elle ramène celui-ci (et toute sa famille) à une soirée organisée par ses ex-collègues, personne n’est choqué, personne ne résiste. Ce n’est plus de la bonne humeur, c’est de l’aveuglement pur et simple. Inutile d’évoquer la lutte des classes dans un film où le travail qui aliène ces caissières est certes présent, mais rattrapé par l’histoire d’amour. Si une Rolls se gare sur le parking du supermarché, vous êtes sauvé. Sinon, attendez Noël prochain, qui sait…
Brûlot du samedi soir, Les Tribulations d’une caissière s’avère surtout, ce qui est plutôt inquiétant (le film étant financé par France 2, une chaîne encore publique aux dernières nouvelles), d’une complaisance douteuse vis-à-vis de la grande distribution. La grande surface s’appelle « Parody », pour ne pas attaquer frontalement, mais les marques sont bien réelles, pour le bien des placements de produits… L’ennemi, ici, n’est pas le patron, isolé de ses employés par la lourde porte en chêne de son bureau que la caméra évitera d’ailleurs soigneusement, ou le capitalisme sauvage, mais un intermédiaire moustachu et libidineux (Jean-Luc Couchard) qui endosse toutes les ires des protagonistes. Les « supérieurs », les actionnaires, les politiques, jamais ils ne seront égratignés. Spectateurs, voici le film de l’année pour le Medef.
En guise de conclusion, le réalisateur, goguenard, nous montre une pyramide, surmontée par une large pancarte Stock, de l’adaptation papier du blog de l’héroïne, couvertures bleues tranchant avec l’immaculé carrelage. Comprenez, c’est cocasse : le blog contre la grande distribution a infiltré le supermarché jusqu’à être mis en vente par celui-ci ! Rambaldi filme toute cette grande désolation comme une victoire, une progression sensible : le livre est aligné dans les rayons, disponible en grande quantité et proprement présenté. Il n’y a pourtant pas de quoi rire. On sait bien, finalement, qui a remporté la partie.