Lili s’en va en Afrique et revient en France, repart et revient, seule. Lili, c’est Romane Bohringer. L’Afrique, c’est le Sénégal, Agnam plus précisément. La France, c’est Cherbourg. Entre ces trois-là se construit une représentation de la figure maternelle, déclinée sous toutes ses couleurs et ses abords, pays, mer… une belle figure hors temps et hors culture. Les femmes, ici et là-bas, sont lumineuses. Mais il y a également le film, Lili et le baobab (arbre symbole du Sénégal), et une critique qui a voulu croire que depuis Jean Rouch, filmer l’Afrique, filmer la France, filmer les relations entre les Blancs et les Noirs ne découlait pas simplement d’un humanisme bon marché.
Partie photographier des équipements financés par la mairie de sa ville, Lili découvre le petit village d’Agnam. Intimidée et gênée par la barrière linguistique – les moments les plus intéressants du scénario, petits bouts de conversation constitués d’incompréhension et de grande écoute – intimidée donc, la jeune femme se lie avec Aminata, femme pauvre et isolée. De la discrétion, de la sensibilité, du silence autour de Lili qui ne comprend pas tout et voudrait faire plaisir. Bouleversée par ces femmes africaines et par cet intérêt porté à sa propre vie familiale (fille unique, sans enfant), Lili décide de s’occuper d’Aminata qui, tout en restant célibataire et sans le dire à personne, a donné naissance à Djibril. La communauté ne peut accepter cet affront et seule Lili pourra sauver la mère et l’enfant de la vindicte villageoise.
Après avoir découvert l’Afrique il y a dix ans et tourné un documentaire là-bas (La Vie en chantier, 1996), Chantal Richard réalise ici son premier long métrage de fiction, film déjà récompensé dans divers festivals, notamment africains. Chantal Richard connaît le continent noir, Agnam est sa seconde vie et cette histoire d’adoption porte en creux son propre témoignage. Elle plante ainsi la caméra dans des lieux qui l’ont vue s’émerveiller et s’interroger. Malheureusement, le filmique ne réussit pas à bouleverser le vécu de la cinéaste, le parti pris de la mise en scène ne séduit guère.
La barrière linguistique permet de travailler autant sur le geste que sur la parole, mouvement du corps, intensité des regards, hésitations, dessins sur le sable. Et elle a su prendre, chez un cinéaste comme Jean Rouch, une profondeur cinématographique : car le geste puis la parole ont décidément un envers filmique, mouvement de caméra, image, champ contre-champ, monologue. À trop se soucier de communication et non de cinéma, Chantal Richard a laissé sur le bas-côté, derrière le baobab, la profondeur de la communion. L’héroïne ne donne rien, sauf l’image d’une bonne blanche qui fait de l’humanitaire – car Lili ne sympathise pas, elle fait de l’humanitaire. « Y’a bon les blancs » comme dirait Marco Ferreri… Et la réalisatrice n’a pas planté sa caméra à Agnam au Sénégal, mais à… Liliville. Le point de vue se défend aisément, c’est celui de Lili mais, malencontreusement, il se retourne contre elle. L’héroïne est donc égocentrique, elle regarde mais ne voit rien, et le monde tourne autour de son nombril. Mais tourne tellement autour de son corps que la réalisatrice a construit sa mise en scène en fonction du visage de Lili, de la sueur de Lili, de la nuisette de Lili, de l’appareil photo de Lili, de la valise de Lili, de la bague de Lili… et qu’un des rares plans de paysages africains, un des rares plans qui montrent ce que l’héroïne voit de ce lieu – enfin son regard, à elle – a été filmé en panoramique, tour complet du panorama, tour qui tourne autour de Lili. Somme toute, cette idée de mise en scène ne peut convaincre car aucune identification ne s’installe, faiblesse et force du personnage n’existent pas, le point de vue est rétréci jusqu’au minimum. Même si un cinéaste décide de rester enfermé avec son personnage, celui-ci doit avoir un regard (d’autant que l’héroïne, ici, est photographe et qu’elle a un point de vue à défendre), regard qu’il partage avec le spectateur, pour l’interroger, le prévenir, le provoquer, l’expulser, le contraindre, le bouleverser, l’inciter, le dégoûter et ce regard est cinématographique. Que Lili soit égoïste, certes, mais le geste filmique ne doit pas l’être. Dommage, car il y a chez Chantal Richard, dans ses propos tenus lors d’entretiens à propos de ce film, une authentique bonne foi.