« La probabilité d’un crash aérien est équivalente à la probabilité qu’on puisse tirer un trait bien droit qui traverserait tous les trous d’un gruyère coupé en tranches. C’est comme ça, c’est suisse. » Yann Kerbec a peur de l’avion depuis sa naissance et est devenu spécialiste de sécurité aérienne. Sa phobie l’a empêché de suivre la femme de sa vie à vingt ans. Dix ans plus tard, il cherche toujours un sens à son existence, à l’amour et sa profonde vérité. Entre accumulation de clichés, mise en scène qui dépasse rarement le seuil minimal de la petite histoire montrée, et théorie fromagère, on reste un peu sur notre faim. C’est comme ça, c’est léger.
Le réalisateur de Ma vie en l’air a eu l’intention louable de peindre un homme de sa génération, éternel adolescent coincé entre la peur de grandir et l’envie d’un amour absolu. Son héros, Yann Kerbec, a donc toutes les apparences du trentenaire perdu dans la jungle urbaine parisienne des vies qui ne décollent pas. Au chapitre, on ne nous épargne pas grand-chose : le personnage central, Yann, vit dans les cafés, passe de femme en femme en attendant celle qui fera chavirer son petit cœur d’oiseau tombé du nid pas encore prêt à voler. Il a un meilleur ami : Ludo, copain d’enfance, sorte d’ectoplasme qui cherche du travail devant le petit écran et moult canettes de bières, affalé sur un canapé. Après l’archétype du joli garçon mal dans sa vie bien rangée (qui convient parfaitement à Vincent Elbaz), voici venu le temps de l’archétype du meilleur ami, collant et onéreux, mais si proche, si compréhensif.
Dans la même série, on retrouve Charlotte, la femme fatale de Yann que ce dernier a perdue à vingt ans et rêve de retrouver (ce qui sera évidemment chose faite), mais qui correspond au fantasme d’adolescent et non plus à l’amour d’une vie adulte. Dans le tourbillon de la vie de M. Kerbec sortira alors Alice (délicieuse Marion Cotillard, malheureusement cantonnée aux rôles de jeunes amoureuses depuis Jeux d’enfants), son réel alter ego qui vit sur le même palier. Les personnages ne possèdent donc aucune originalité : leur construction dramatique, tout à fait prévisible, se résume bien souvent au déroulement de leurs propres contradictions, tout autant prévisibles. Yann a peur de l’avion depuis la mort de sa mère en vol, a grandi près d’Orly, et travaille à rendre les voyages aériens plus sûrs. Il cherche l’amour, le vrai, sans vouloir en assumer les responsabilités. De même Alice, celle qu’il aime (mais évidemment, il ne le sait qu’à la fin), conseille les auditeurs en panne de cœur d’une radio, étant elle-même incapable d’une quelconque stabilité sentimentale. Tout cela n’est donc pas bien méchant.
Rémi Bezançon a voulu faire de la peur de l’avion, de l’envol, une métaphore de la peur de grandir et de s’engager : le spectateur reste coi devant tant de perspicacité. De même que les hésitations de Yann sur les tapis roulants de Roissy semblent un symbole attendu des tergiversations du personnage, on reste perplexe devant la légèreté de certains dialogues ou sentences attendues telles que « Une femme, c’est quoi ? Quatre-vingt quinze pour cent d’eau ! » ou « Si tu veux perdre un ami, aide-le ! »… Le réalisateur s’est concentré sur ses protagonistes, les chérit visiblement, les rend parfois attendrissants et drôles. Mais sa caméra reste figée sur eux, et ne virevolte pas autant que les séquences de décollage qui ponctuent le film. On suit leur histoire, comme un roman, mais il n’y a pas d’images. Quelques jolies trouvailles par-ci, par-là, comme la rencontre entre Yann et Alice au travers d’un trou dans le mur : mais elles ne peuvent exister en elles-mêmes, sans lumière, plombées par une voix off lancinante qui aligne bien souvent les stéréotypes. On pense parfois au Fabuleux Destin d’Amélie Poulain dans la tendance aux gros plans rapides, aux narrations en voix off et présentations de personnages succinctes : mais l’émotion ne vient pas, on s’attend au happy end, en panorama, sur une longue plage exotique propice aux retrouvailles.
S’il ne s’agit pas de ce que l’on appelle un bon film, on trouve cependant dans Ma vie en l’air quelques scènes bien senties et plutôt amusantes : la palme revient à l’excellent Didier Bezace, parfaitement drôle dans la peau d’un pilote qui échoue à tous les tests de sécurité de Yann, tuant virtuellement à chaque vol l’entièreté de son équipage et des passagers. L’apparition de Tom Novembre en père tendre et fanatique de belles carrosseries est aussi appréciable. Mais le film ne parvient jamais à sortir des sentiers battus de la comédie sentimentale du mardi soir : le spectateur devine tout dès les premières notes de la jolie chanson de Jeanne Cherhal, voit arriver ce qu’il avait attendu, s’est laissé bercé par la jolie bulle un peu vide qu’on lui montrait, et oubliera tout en sortant de la salle.