Le 13 juin dernier s’est inaugurée à la Cinémathèque française une quinzaine dédiée à l’intégralité de l’œuvre du cinéaste brésilien. Rétrospective qui investira les salles d’exploitation à partir du 27 juin prochain et qui sortira en coffret 5 DVD le 4 juillet. Autant dire qu’a débuté la saison Andrade en France. L’occasion de voir, entre autres, cette curiosité aussi réjouissante que déconcertante.
Pour info ou pour rappel, le « Cinéma Novo » (cinema nôvo pour les puristes), né au début des années 60, n’est rien d’autre que l’équivalent brésilien de la Nouvelle Vague. De même que cette dernière est née en réaction à la « Qualité Française » – ou que le néo-réalisme s’est opposé au « cinéma de téléphones blancs » mussolinien –, de même le Cinéma Novo s’est d’abord érigé sur les ruines d’un cinéma majoritaire et académique : la chanchada, comédie musicale carnavalesque mêlée d’aventures et de parodie, extrêmement populaire mais peu au fait des réalités historiques et sociales du pays, bien que très « brésilienne » d’esprit. Dans la lignée du mouvement tropicaliste, de jeunes cinéastes dotés d’une double connaissance de la haute culture et de la culture populaire (Nelson Pereira dos Santos, Carlos Diegues, Ruy Guerra et le plus célèbre et turbulent d’entre eux, Glauber Rocha) entendent porter un regard sur un Brésil jamais filmé – celui des paysans et des bidonvilles – et proposer une esthétique neuve et contestataire, évidemment subversive dans un pays où sévit une dictature militaire.
En 1965, Andrade réalisait Le Prêtre et la jeune femme, un film sec et intense, sourd et brûlant, sur un thème qui inspira plus d’un artiste : la relation trouble entre les personnages indiqués par le titre. En regard du mouvement dans lequel il s’inscrit et du long métrage de fiction auquel il succède dans la filmographie du cinéaste, c’est peu dire que Macunaíma détonne. Pensez donc : une comédie bouffonne émaillée de musique qui rencontrera un succès public – soit, à première vue, un retour au genre même que le Cinéma Novo avait souhaité balayer ! Le retour aux sources est en fait beaucoup plus profond : il s’agit d’un renouement avec ce qu’une certaine culture populaire brésilienne a toujours eu d’irrévérencieux et de moralement incorrect.
Macunaíma est une une satire haute en couleurs, une farce dont on se demande parfois s’il faut voir dans la désinvolture de sa représentation et la pesanteur de son burlesque une irrémédiable nullité ou un sommet dévastateur de distanciation. Générique sur fond d’aquarelle en camaïeu de vert et de fanfare entraînante : un chant patriotique évoquant la terre du Brésil et dont on ne sait trop si l’utilisation est ironique ou pas. Fondu au rouge. Un braillement. Un bébé noir joué par un adulte ébouriffé tombe sous la jupe d’un blanc grimé en vieille femme indienne… C’est la naissance, triviale, excessive, très théâtre populaire, du personnage de Macunaíma, « héros sans caractère » qu’on verra au cours du film devenir blanc et éprouver avec paresse et veulerie diverses facettes du Brésil moderne : ses racines indiennes et rurales, son fourmillement urbain, son racisme larvé…
La cohérence esthétique et politique qui habite les formes diverses du Cinéma Novo – lequel a indubitablement donné naissance à une nouvelle cinématographie nationale – fait aussi la limite de sa réception hors des frontières du Brésil : une connaissance approfondie de la culture du pays semble parfois nécessaire si l’on veut en saisir tous les enjeux : comprendre, par exemple, l’importance fondamentale qu’y revêt la notion d’anthropophagie. Ce que le cinéma brésilien, après une période abyssale (la présidence Collor, où le désengagement de l’État en matière de culture en général et de cinéma en particulier a réussi à réduire à zéro le nombre de films tournés par an), a gagné en accessibilité, il l’a peut-être perdu en force : le renouveau actuel du cinéma brésilien, économiquement indéniable, ne peut faire l’objet d’un bilan esthétique qu’en demi-teinte. Nombreux, en effet, sont les films formatés et académiques, occasionnelles les bonnes surprises, rares les éclatantes réussites (le somptueux À la gauche du père de Luiz Fernando Carvalho, malheureusement passé inaperçu lors de sa sortie en France).
Face à l’exotisme d’un film tel que Macunaíma, il est toujours rassurant de se raccrocher à quelque connaissance. Manière d’appréhender aussi fructueuse en puissance que vaine et délicate : la comparaison nourrit, enrichit, mais s’avère parfois délirante, ou tout simplement impuissante face à l’irréductibilité d’une singularité. On serait tenté de convoquer ici Pasolini et les Monty Python. Mais oui. Pasolini pour l’amour du peuple malgré ses défauts, l’hédonisme truculent, la liberté de la figuration filmique. Les Monty Python pour le comique absurde ne craignant pas l’énormité et la vulgarité. Il ressort une bien curieuse puissance politique de ce bazar où un patron capitaliste est vu comme un ogre répugnant. À l’image de la fausse piste de la scène du cimetière, où l’on suit d’abord la procession peuplée d’un enterrement qui ne concerne en rien les héros avant que ceux-ci n’apparaissent, éléments perturbateurs venus pleurer à trois seulement la mort du grand amour de Macunaíma, une énergique guerillera tuée par sa propre bombe, le film se dérobe sans cesse à la stabilité de la compréhension et du jugement. Une expérience à tenter.