Expérimental dans son approche du cinéma, Pierre Vinour (dont le premier long-métrage Supernova date de 2003) foule une fois encore les terres d’Auvergne et entraîne son public dans un lent dérèglement des sens. Trip visuel sur la lande volcanique, porté par une bande-son stratosphérique et scandé d’hallucinations, Magma intronise la nature comme métaphore de la psyché de son personnage. Troublant.
Paul Neville, ingénieur en télésurveillance, laisse femme et enfant à Paris pour se rendre à un séminaire en Auvergne. Isolé dans un hôtel blockhaus en pleine nature, il fait la connaissance de sa voisine de chambre, Ainhoa Javier, institutrice espagnole fraîchement divorcée. Terrassé par une agoraphobie (peur des grands espaces) qui l’oblige à vivre cloisonné dans sa chambre, il découvre grâce à l’insistance d’Ainhoa la beauté des hauts-plateaux volcaniques auvergnats, l’immensité désertique qui l’entoure et la passion torride d’une idylle naissante. Mais, la jeune femme, toujours harcelée par son ex-mari, disparaît brusquement une nuit. Si la police interroge tous les clients de l’hôtel, Paul, par peur de perdre sa famille, tait ses relations avec la disparue, rentre à Paris et essaie d’oublier cette passade et sa dramatique issue. Hantée par Ainhoa, il retourne en Auvergne, mais toutes les traces de leur histoire semblent s’être mystérieusement évaporées.
Si le canevas scénaristique paraît pencher vers le polar, le traitement de Vinour s’inscrit nettement dans la veine psychologique des films introspectifs. Rappelant l’expérience sensorielle de Sombre de Philippe Grandrieux, Magma repose sur l’interpénétration entre les affres psychologiques de Paul (ses pulsions, ses phobies) et son environnement (hostile, vide de toute humanité). Prenant Paul comme angle de lecture, tout est vu à sa hauteur, à travers sa sensibilité et la diffraction progressive de sa personnalité. La multiplication des écrans qui cernent le personnage, le surveillent (miroir, écran d’ordinateur, écrans de surveillance…) convoquent une myriade de Paul ; qui de profil, qui de face. Ce dispositif rendant anxiogène ses apparitions, prépare le terrain du changement narratif drastique qui étreint le film dans sa dernière partie. Malgré une sobriété de réalisation, Vinour se permet quelques incartades surréalistes et entomologiques (les hallucinations de Paul en pleine crise d’agoraphobie) qui, outre leur caractère esthétique, annihilent toute vérité narrative exogène au profit de la seule perception du personnage.
La mise en scène participe amplement à la déstabilisation du spectateur mais le champ acoustique n’est guère laissé en friche. Bénéficiant d’un design sonore omniprésent et d’une musique quasi dronique, Magma s’écoute autant qu’il se regarde. Aux commandes de la bande-son, on découvre le groupe Zone Libre (Serge Teyssot-Gay, guitariste de Noir Désir, Marc Sens et Cyril Bilbeaud). Si les morceaux n’ont pas été composés spécifiquement pour le film de Vinour, ils s’adaptent au micron près à l’ambiance qui règne au sein du métrage. Guitares saturées, rock expérimental sec et angoissant, donnent un relief inédit aux longs plans contemplatifs de Vinour sur les paysages d’Auvergne. D’ailleurs, entre la poussière des vastes étendues et la quasi absence de vie, on se croirait presque en Amérique, presque dans un western.
Connu pour ses installations vidéo (Eléments qui mixait prises de vues d’un espace naturel et sons de cet environnement), Pierre Vinour se révèle un cinéaste hors norme, privilégiant la sensorialité à toute autre forme narrative. Film du ressenti, Magma nécessite de la part du public un lâcher prise des conventions cinématographiques classiques. Ne perdant toutefois pas de vue son fil conducteur (la lente désagrégation psychique d’un homme), le film se clôt sur un retour brutal à la réalité, remettant en scène les séquences clés, avec objectivité cette fois.
Malgré quelques lenteurs, la balade sur la dure roche volcanique auvergnate qui cache en son cœur sa lave en fusion, vaut le détour. Le cinéma français s’aventure rarement sur les terres de l’expérimental, suffisamment rarement pour souligner cette incursion réussie.