Découvrant la côte pacifique colombienne, le jeune réalisateur états-unien Josef Wladyka a eu envie d’y faire se dérouler un film de genre. Mais, sans que l’on sache bien si cela tient à une distance critique de cinéphile, à une envie de réalisation plus humanitaire qu’impérialiste, ou à la seule sympathie pour le lieu, il a voulu faire plus qu’un simple film de genre.
Manos Sucias raconte un travail de livraison de drogue du centre ouest (Buenaventura) au nord du pays par deux compères sympathiques pris dans la spirale de l’argent facile. Le jeune joue les durs, le plus âgé peut l’être vraiment. Des trafiquants leur remettent un sous-marin de poche rempli de drogue qu’ils accrochent discrètement à la traîne d’une barque. En cas de mauvaise rencontre, ils larguent le chargement, retenu sous la surface à un boudin d’air, et feignent de pécher. Un GPS leur permet de retrouver le sous-marin, et vogue le navire. Évidemment l’affaire se passe mal.
Cinéma équitable
Manos Sucias colle à son récit des éléments de la vie quotidienne locale et parvient à les intégrer habilement. D’une part elles aèrent l’histoire, d’autant que la vie locale ne manque pas d’exotisme (mention spéciale aux étranges « motos-train »), d’autre part elles dilatent l’action et créent ainsi du suspense. On n’ira pas jusqu’à parler de documentaire, disons que les images de vie quotidienne sont « documentantes », faites de réalité qui perd plus ou moins de sa substance à force d’accumulation. Wladyka filme le réel, le monte pour servir son film, le résultat est parfois bancal, mais original et efficace.
D’un point de vue de la production, faire plus qu’un film de genre c’est aussi penser l’apport au lieu qui nourrit le film. L’équipe et la production américaine ont monté des ateliers de cinéma pour les habitants du lieu de tournage. Bonne idée, cohérente avec une coproduction participative (Kickstarter), et qui appellerait à une analyse détaillée du résultat.
Suivre ou quitter les rails
Manos Sucias suit une construction assez scolaire dans la structure des séquences : les personnages vivent un moment banal (un repas autour du feu), la parole est animée, les sujets de conversation échappent à l’histoire principale et donnent une impression documentaire (on parle foot). À force de verve, la tension apparaît, diffuse, puis éclate quand l’un des personnages dérape (un mot raciste). De là, soit l’éclatement est évité et la tension reste tapie, soit il y a violence. Puis scène suivante et le processus recommence. Le quotidien n’existe sous cet angle que comme appel de la tension et il finit par être systématisé. D’autres maladresses (détails de scénarios prévisibles, répétitions de plans sur un objet caché lors d’une fouille…) empèsent Manos Sucias. Jusqu’à ce que le dernier quart devienne soudain très prenant. Après l’alternance maritime attente/tension, les personnages s’enfoncent dans la jungle pour une longue poursuite pendant laquelle les pauses, pleines de tension froide, forment un long crescendo qui éclate dans un bel achèvement violent. Le film laisse donc un goût plutôt vivifiant si l’on est curieux de la transposition du film noir/de drogue en bord de mer colombien. La morale, quant à elle, n’y va pas par quatre chemins, aussi pragmatique que les candidats à la délinquance : qui agite l’eau se mouille, mais ne se noie pas forcément.