Soit le parcours d’un jeune autiste fasciné par les zèbres et que sa mère pousse à s’entraîner pour le marathon… Sur le papier, le premier long métrage du Coréen Chung Yoon-chul suscite immanquablement la prudence. Les grandes lignes de son intrigue, adaptée d’une histoire vraie qui a ému la Corée du Sud, évoquent nombre de films de sport consensuels produits notamment par Hollywood (comme Rocky, Pur Sang, la légende de Seabiscuit, ou même l’improbable Rasta Rockett) et parfois eux aussi basés sur des histoires réelles utilisées comme prétexte à l’émotion facile. On retrouve d’ailleurs dans le scénario des composantes connues de ce type de films : le sportif luttant contre un handicap énorme, le soutien d’un entourage aimant, l’entraîneur désabusé en quête de rédemption. Les auteurs prennent donc le risque d’aborder un genre balisé, tout comme l’évocation de ce sujet délicat qu’est l’autisme, déjà prétexte par le passé à l’exploitation spectaculaire et sans conscience (Rain Man, les thrillers Code Mercury et Silent Fall, etc).
Les deux premiers tiers du film, cependant, laissent de bons augures pour l’ensemble. Chung Yoon-chul s’attache au parcours de son jeune héros, Cho-won, et de sa famille éclatée avec un regard extérieur assez neutre, auquel on peut certes reprocher de limiter la prise de risque en matière de mise en scène, mais qui au moins évite la catastrophe d’une dramatisation excessive, et permet au réalisateur de garder un ton constamment juste, aidé en cela par la bonne interprétation de Cho Seung-woo dans le rôle principal. De plus, vers le milieu du métrage, se dessine une thématique dépassant le cadre du simple film de sport annoncé. L’entraînement de Cho-won pour une victoire sportive passe provisoirement en arrière-plan, cédant le pas à un autre combat, plus fondamental. La recherche du dépassement de soi, tant glorifiée dans la plupart des films de sport, se confond ici avec la lutte de Cho-won pour l’autonomie et le statut d’être humain à part entière (au fur et à mesure que les apprentissages maternels acquis au fil des ans deviennent des automatismes par lesquels il peut assurer sa propre survie), et contre la chosification dont il est l’objet de la part de son entourage, et notamment de sa mère, Kyung-sook. À travers le personnage de l’entraîneur sans illusions de Cho-won, le film jette un éclairage violent et implacable sur celui de Kyung-sook, supposée jusque-là aimante à l’extrême (au point de briser son couple pour rester seule avec Cho-won), dont on découvre des motivations moins avouables dans son désir de pousser son fils à une carrière sportive, sans se soucier des sentiments et des désirs de ce dernier. À ce moment, le film semble prêt à prendre une direction et une hauteur de vue inattendues, sortant ainsi des ornières du film de genre balisé.
« Homme-enfant »
Malheureusement, ce propos pertinent cède la place, dans la dernière partie, aux grosses ficelles des productions destinées à émouvoir le public à peu de frais. La faute à un scénario qui perd de sa subtilité pour virer in extremis à une résolution convenue et un happy-end sans nuances, mais aussi au réalisateur qui, abandonnant sans crier gare son doigté et sa sensibilité du début, surligne cette fin à coups de gros effets convenus qui tirent le film vers ce qu’il semblait être en mesure d’éviter, le pathos et la sensiblerie : dégoulinante musique au piano, face-à-face familiaux filmés en champ-contrechamp et en gros plan, course au ralenti à la manière des Chariots de feu. De même, l’approche du héros autiste par le cinéaste prend un tour douteux. Il use assez lourdement de plans naturalistes pour illustrer l’éveil progressif des sens de Cho-won et de sa perception de son environnement. Surtout, sortant de sa rassurante neutralité du début, il se laisse aller à une certaine complaisance en matérialisant les illusions nées de son handicap : plaçant par exemple un postérieur de zèbre en lieu et place d’un objet ayant attiré le regard du jeune homme, ou filmant une scène comme l’exacte réplique d’un souvenir heureux de son enfance… Des procédés qui, en idéalisant un imaginaire né d’un handicap, cherchent à attirer de manière grossièrement manipulatrice la sympathie du public pour cet « homme-enfant ».
Tiraillé entre son objectif de toucher un large public et son désir d’étendre son propos hors des limites du politiquement correct, Marathon laisse l’impression mitigée d’un film qui échoue à échapper tout à fait aux conventions des genres auxquels il se réfère, et dont les promesses les plus intéressantes ne sont guère tenues.