Marie Stuart, Reine d’Écosse, premier film de Josie Rourke, s’articule autour d’un jeu de miroir constant entre deux parentes rivales : Marie Stuart (Saoirse Ronan), reine déchue, et Elizabeth 1er (Margot Robbie), reine triomphante. Ce parti-pris s’observe dès la scène d’ouverture, à travers la juxtaposition dans le montage de gestes à la fois analogues et distincts des deux personnages. S’avançant toutes deux le long d’une allée, l’une se dirige vers l’échafaud tandis que l’autre erre dans son vaste palais. Elles lèvent les yeux au ciel, vivant chacune le moment de manière différente. Marie contemple, nostalgique, les flocons de neige de l’aube hivernale pour la dernière fois, ce que ne voit pas Elizabeth, qui l’air perplexe, s’interroge sur la gravité de son acte (la condamnation à mort de sa royale cousine). Le montage alterné innerve bientôt et jusqu’à l’épuisement toute la structure du film, les allées et venues dans le palais de l’une ou de l’autre étant toujours introduites de la même façon : par un plan large d’un paysage écossais ou anglais, suivi d’un gros plan sur le visage de la reine choisie.
Les dissemblances, rapidement évidentes, ne se départissent pas d’un certain schématisme, reposant en premier lieu sur la topographie. L’Écosse, décrite par les suivantes de Marie comme une terre « maudite », se distingue par la rudesse du climat et la majesté des paysages, tandis que la cour est souvent plongée dans l’obscurité ou éclairée par une lumière froide. A contrario, Elizabeth baigne dans des alentours ensoleillés – la séquence succédant à celle de l’ouverture la dévoile ainsi devant les fenêtres du palais, recevant la chaleur du soleil, et plus tard dans une grange en compagnie de ses animaux, profitant d’un moment de calme tandis que la lumière extérieure caresse son visage d’un doux contre-jour. Concernant la caractérisation des personnages, le jeu des différences s’avère toutefois plus subtil et laisse poindre un beau portrait de femmes. Marie, naïve et passionnée, souhaite se réaliser à travers le mariage et cède rapidement à son prétendant Henry (Jack Lowden). Son cheminement prend alors la forme d’un récit d’apprentissage sur la perte des illusions de la jeunesse, sans que son parcours ne soit toutefois dénué de raccourcis – à savoir le changement de personnalité d’Henry, qui passe d’une scène à l’autre de prince charmant à goujat (la demande en mariage chevaleresque étant suivie d’une catastrophique cérémonie). Dans cette logique de jeu sur les semblances et dissemblances, Elizabeth, au contraire de sa cousine, a trouvé un amour sincère en dehors de l’institution matrimoniale – relation qui prend un tournant magnifique lorsque son amant Robert (Joe Alwyn) demeure à ses côtés quand elle se retrouve défigurée par la variole.
Le travail sur les contrastes physiques et le travestissement de la beauté de Margot Robbie n’est à cet égard pas sans intérêt, même s’il apparaît forcé vers la fin du film, lors de la seule et unique entrevue entre les deux reines (qui entérine le schématisme du montage alterné). Marie apparaît dans toute sa beauté et sa juvénilité tandis qu’Elizabeth est déguisée en Reine de cœur sortie tout droit de l’univers de Lewis Caroll – accoutrement un peu ridicule qu’elle garde jusqu’à la fin pour signifier la dureté adoptée en signant la mort de sa « sœur ». Car malgré leurs différences, les deux femmes se présentent bel et bien comme telles et ce jusqu’à la lettre de condamnation de Marie signée de la main d’Elizabeth. Le film n’apparaît alors pas tant comme la confrontation de deux rivalités que comme la critique d’une société patriarcale. Les événements menant à la déposition de Marie tiennent davantage du complot de ses conseillers et de la guerre civile attisée par le prêcheur John Knox (David Tennant) que d’une quelconque machination d’Elizabeth 1er. L’entrevue finale va dans ce sens : le destin funeste de Marie résulte de cette naïveté qui l’a rendue vulnérable et, pour citer Elizabeth, de « l’ambition insatiable des hommes » (le désir de trouver l’amour à travers le mariage et de fonder un foyer l’ayant conduit, au final, à être séparée d’Henry pour aussitôt être remariée de force), là où sa cousine se serait préservée en se comportant comme un « homme » (ce qu’elle confie à son premier ministre quelques scènes plus tôt, lorsque celui-ci l’enjoint à se marier et à avoir une descendance).
Le film serait toutefois plus harmonieux s’il ne s’en remettait pas, pour figurer la psyché des deux femmes, à un symbolisme poussif — à l’image de la scène qui suit l’accouchement de Marie et qui traduit le désir de maternité accompli par un plan sur ses jambes écartées baignant dans un liquide écarlate, là où le plan suivant, par le montage alterné, montre les jambes d’Elizabeth dans la même position, d’où jaillissent non pas les fluides de l’accouchement mais une ribambelle de coquelicots tout aussi écarlates. On peut aussi se demander pourquoi la cinéaste fait la part belle à Marie plutôt qu’à Elizabeth, titrant le film du nom de la reine d’Écosse malgré les nombreux allers et retours et alors même que l’arc dramatique d’Elizabeth se révèle tout aussi captivant – si ce n’est plus – que celui de Marie. Ces à‑côtés, alliant les incohérences scénaristiques à une structure telle que chaque scène semble répondre à celle qui précède avec une artificialité manifeste, empêchent le film de donner à ces portraits féminins l’ampleur qu’ils pourraient avoir.