Après l’étrange drame À la folie, pas du tout (2002), où Audrey Tautou nourrissait un amour obsessionnel et unilatéral pour Samuel Le Bihan, Laetitia Colombani continue son exploration originale des passions humaines avec Mes stars et moi, un second long-métrage sur le ton de la comédie, et choisit Kad Merad pour incarner un fan envahissant.
Malgré des qualifications certaines, Robert Pelage (Kad Merad) exerce un travail alimentaire d’agent d’entretien de nuit dans une agence artistique. Sa vie de famille est proche du néant, entre une épouse qu’il néglige (Maria De Medeiros) et une fille adolescente qu’il ne comprend pas (Juliette Lamboley). Mais Robert est pourtant loin de sombrer dans la dépression, reclus dans son petit pavillon de banlieue, car Robert est un no-life comblé ! Entendez par là qu’il occulte la vacuité de sa propre existence par l’énergie permanente qu’il déploie pour participer à celle de « ses » stars : Solange Duvivier (Catherine Deneuve), Isabelle Serenna (Emmanuelle Béart) et Violette Duval (Mélanie Bernier), trois actrices réunies le temps d’un tournage par l’intervention discrète de leur plus grand admirateur. Mais, au grand dam du fan, ces trois femmes vont s’allier pour se venger des interventions de plus en plus intrusives et gênantes de Robert dans leur vie professionnelle et privée.
Dans Huit et demi (Federico Fellini, 1963), le personnage de Paparazzo, photographe qui donnera son nom à une frange du métier, soulignait la fascination exercée par les artistes de cinéma, ces êtres à la fois si lointains et si proches. La figure du fan lui-même a donné lieu à des numéros d’acteurs surprenants et variés. Robert De Niro devient complètement psychotique dans The Fan (Tony Scott, 1997), Fabrice Luchini met toute sa fougue à créer un Johnny Hallyday mythique dans Jean-Philippe (Laurent Tuel, 2006), Benoît Poelvoorde fait revivre l’univers de Claude François, paillettes et claudettes incluses dans Podium (Yann Moix, 2004), Isild Le Besco nourrit un amour étrange pour une Emmanuelle Seigner chanteuse dans Backstage (Emmanuelle Bercot, 2005). Parmi ce groupe de personnages intrigants, dont la mise en scène parfois maladroite n’évite jamais la caricature, Kad Merad se fraie une place timide, composant un Robert Pelage naïf et sincère, animé par une tendresse pure et une bienveillance constante. Bien que l’on aurait pu souhaiter un peu plus de fantaisie chez ce personnage, reconnaissons la volonté de Laetitia Colombani de proposer une figure réaliste au fort potentiel identificatoire, à laquelle Kad Merad ajoute un sentiment de détresse touchant.
Car au fond, Robert Pelage, c’est vous, c’est moi… Oui, c’est nous, assis dans une salle obscure face à cet écran sur lequel défile à chaque projection une vie de fantasmes, cet écran sur lequel s’anime des corps fantomatiques intouchables, cet écran face auquel nous vibrons, nous rions, nous pleurons… Mais Robert Pelage, lui, est passé de l’autre côté de l’écran. En cherchant à approcher les corps derrière la chimère cinématographique, il réalise peu à peu la complexité d’un réel bien concret, dont la magie s’étiole au fil des scènes. Au-delà des icônes glamour sur papier glacé, les trois actrices sont avant tout des femmes, avec leurs rêves et leurs frustrations : le désir de maternité, la recherche utopique d’un homme idéal, l’angoisse des traces du temps sur un corps sans cesse observé, la volonté d’échapper à un système ôtant toute liberté personnelle…
Pour incarner les actrices harcelées, Laetitia Colombani a choisi trois comédiennes à des stades différents de leur carrière, comme pour décomposer les étapes de la « staritude » : la débutante Mélanie Bernier, la confirmée Emmanuelle Béart et la mythique Catherine Deneuve. Cacher derrière des noms fictifs, les trois femmes interprètent pourtant des rôles très proches de leur propre identité. La volonté d’Isabelle Séréna d’adopter un enfant roumain est ainsi directement inspirée de l’engagement humanitaire d’Emmanuelle Béart auprès de l’UNICEF. La frontière entre fiction et réalité est donc extrêmement mince. Était-il vraiment nécessaire de cacher les actrices derrière ces pseudonymes? Choix frileux pour Colombani et accès de modestie chez Béart et Deneuve? Les noms d’Isabelle Serenna et Solange Duvivier ne sont que de frêles paravents de papier, incapables de cacher deux figures charismatiques. Quant à la jeune Mélanie Bernier, tout comme son double fictionnel, elle semble un peu dépassée et écrasée par le duo Béart-Deneuve, dont elle se retrouve souvent simple spectatrice. Son personnage occupe d’ailleurs une place secondaire dans le récit filmique : on ignore tout de sa vie quotidienne, de sa famille, de ses émotions profondes. Si son regard sert de vecteur au spectateur pour pénétrer l’intimité des stars, Mélanie Bernier/Violette Duval déséquilibre le trio et son personnage est tout simplement sacrifié au profit des stars réelles.
On ne parvient pas franchement à rire du parcours de Robert et de « ses » actrices. Être fan : c’est difficile, c’est fatigant, c’est frustrant. Cela sous-entend un dévouement inconditionnel, sans aucun espoir de reconnaissance. Alors le fan est-il vraiment une figure de comédie ? On voudrait se moquer de lui, comme pour se défendre prétentieusement du risque de lui ressembler. Mais le fan émeut avant tout, par son extrême solitude et la pureté de ses sentiments, comme en témoigne cette scène où Robert apparaît désemparé lorsqu’un lieutenant de police lui apprend que « ses » actrices ont porté plainte pour harcèlement. De façon générale, la mécanique du rire ne fonctionne pas et un certain nombre de répliques, pourtant bien senties, tombent finalement à plat dans Mes stars et moi. On sourit, certes, de la malice et de la truculence des personnages, mais on partage avant tout le désarroi d’individus en errance, prisonniers de leur condition, insatisfaits et frustrés. Robert, Solange, Isabelle et Violette se ressemblent finalement bien plus qu’ils ne le croient : le cinéma est leur refuge.
À vouloir enfermer son fan et les objets de sa fascination dans une structure comique dysfonctionnelle et inadaptée, Laetitia Colombani s’essouffle vite et passe à côté de l’intérêt de son sujet, bien plus ambigu qu’elle n’a bien voulu le penser. Son apparition dans le rôle décalé et inutile de la « psy-chat-nalyste » (psychologue pour animaux) témoigne de sa volonté aveugle de surenchère dans la comédie. La jeune réalisatrice sait-elle vraiment ce qu’est un fan ou a-t-elle juste choisi ce prétexte pour s’octroyer le plaisir de diriger deux grandes actrices du cinéma français? Ce n’est pas encore avec ce film que le phénomène « fan » aura trouvé une représentation cinématographique à sa mesure.