Plus de trois ans après la mort du grand Maurice Pialat, difficile de lui trouver un digne héritier. En reprenant un de ses projets inaboutis, Patrick Grandperret — autrefois son assistant réalisateur — se risque forcément à la comparaison. Pari osé et plus que risqué mais la force d’un sujet ne donne pas toujours un grand film. La preuve en est avec ce Meurtrières bien faible dont le seul intérêt se limite à la révélation de deux actrices pleines de promesses.
En 1976, quelque part entre La Gueule ouverte (1974) et Passe ton bac d’abord (1978), Maurice Pialat avait décidé de s’inspirer d’un tragique fait divers qui avait choqué la France d’alors : le meurtre d’un homme par deux très jeunes femmes fugueuses. Mais ce qui devait être son quatrième long-métrage est resté au stade de projet : un script de seize pages, quelques rushes oubliés mais surtout le dossier judiciaire complet des deux criminelles en herbe. Trente ans plus tard, Patrick Grandperret, assistant réalisateur de Pialat sur Passe ton bac d’abord et Loulou, s’octroie la confiance de la veuve Sylvia Pialat (productrice du film) qui lui confie l’aboutissement d’un projet autrefois ambitieux.
Dès la première scène, Meurtrières justifie son titre : Lizzy (Céline Sallette) erre de nuit au bord d’une départementale, le visage et les habits en sang. Choquée, elle est recueillie par une brocanteuse qui la croit victime d’un accident. Mais rapidement, Nina (Hande Kodja) surgit, armée d’un couteau, pour emmener Lizzy loin de tout. Ce qui se passe ensuite n’intéresse nullement le réalisateur. Tout le monde le sait, les deux jeunes femmes seront rattrapées par la police, interrogées, jugées puis condamnées. L’attention de Grandperret se concentre donc sur ce qui précède avec cette même question d’une lisibilité trop évidente : comment ces deux jeunes femmes un peu « borderline » mais pas méchantes ont pu commettre l’irréparable, passer du statut de filles vulnérables à celui de criminelles accomplies ? Sans surprise, le réalisateur procède à un très long flash-back (seule cassure d’un récit qui se révèle d’une linéarité assommante) pour revenir aux origines d’une rencontre entre deux adolescentes vouées à l’échec. D’un côté Nina, traumatisée par la mort soudaine de son père le jour de son anniversaire, se laisse embarquer par une femme entreprenante qui la loge dans l’hôtel de ses parents. De petits boulots en rencontres sans intérêt, elle sombre peu à peu dans le mutisme. De l’autre, Lizzy tente de mettre fin à ses jours dans l’appartement de son petit ami. Les deux jeunes femmes se rencontrent à l’hôpital psychiatrique et se reconnaissent immédiatement, bien évidemment. Entourées de patients qui sont autant de cas cliniques caricaturaux, Nina et Lizzy décident de faire le mur. De là, commence une longue fugue aux alentours de La Rochelle.
Sur leur chemin, les deux jeunes femmes multiplient les mésaventures et les mauvaises rencontres : un dragueur malintentionné qui les traîne dans les sous-bois, deux forains qui les prennent en flagrant délit de vol, une bourgeoise qui parle de sa fille adoptée comme d’un objet, etc. Tout s’enchaîne sans rythme, sans intensité mais sans la moindre conviction non plus. Pas vraiment maître de son sujet, Grandperret aligne des tableaux caricaturaux et ne parvient que très rarement à faire exister ses personnages au-delà des situations bateau qui les caractérisent. Le drame du réalisateur, c’est qu’il n’a pas le même génie, la même fièvre que son mentor. Un exemple parmi tant d’autres : au début du film, Nina se retrouve à la table des gérants de l’hôtel où elle loge. Là où Pialat aurait poussé ses acteurs dans leurs retranchements, encouragé chacun à manger comme s’il était vraiment en train de partager un repas, Grandperret se contente de filmer platement une tablée dressée pour la scène, alternant des champs/contrechamps d’autant plus visibles qu’ils révèlent la vacuité des dialogues et l’absence d’entente entre les acteurs. Un beau gâchis dans lequel surnagent tant bien que mal les deux actrices principales dont le potentiel, à peine exploité, parvient tout de même à percer.
Pour le spectateur, reste à attendre la scène de meurtre divulguée dès le début du film. On sait bien trop où Meurtrières doit nous amener car Grandperret ne sait jamais se départir d’un scénario trop balisé et tristement conventionnel. Le cinéma nous a depuis offert bien d’autres œuvres passionnantes sur le passage à l’acte. Lointaines cousines des sœurs Papin, filles d’Huppert et de Bonnaire dans La Cérémonie, Nina et Lizzy font un peu tache en 2006. Puis, le meurtre arrive enfin, la boucle est bouclée, le maigre enjeu annulé, et le film aussitôt oublié.