La première scène d’action de Mortal Engines révèle d’emblée la spécificité du monde post-apocalyptique qui lui sert de toile de fond : Londres, une gigantesque cité mobile pyramidale (pensée comme une Tour de Babel en mouvement), prend en chasse une petite ville marchande bavaroise qui, pour fuir, se disloque en une poignée de véhicules (Londres se nourrit des plus petites villes en absorbant à la fois leurs matières premières et leur population, sur le modèle du Municipal Darwinism). Profitant du chaos de la situation, Hester Shaw (Hera Hilmar), l’héroïne, se fraie un chemin dans les entrailles de la cité prédatrice dans l’espoir de venger la mort de sa mère en exécutant Thaddeus Valentine (Hugo Weaving), archéologue haut gradé de la capitale. Cette séquence met en jeu trois échelles de grandeur : celle de Londres, celle des véhicules (anciennement la ville bavaroise) et l’échelle humaine. Elles vont ainsi s’alterner dans le montage, qui joue sur la démesure entre les corps et les machines.
Pour autant, la dernière partie du film met en lumière la limite d’un tel dispositif de mise en scène. Les êtres humains, filmés avec beaucoup moins d’emphase que les machines, intéressent finalement assez peu le cinéaste, comme en témoigne la séquence de bataille finale où le jeu d’échelles laisse place à une opposition entre deux camps : le peuple cynique de Londres applaudissant les destructions et une population pacifiste retranchée derrière une immense muraille. Ce qui devait être le point d’orgue du film ressemble bien plus à un passage obligé qui rappelle, avec moins de charme, les batailles de Star Wars ou celles du Seigneur des anneaux.
La vie des machines
À l’inverse, le film est plus inventif lorsqu’il se concentre sur les petites villes qui, bien qu’elles soient toutes aussi machiniques, ont la particularité d’adopter le comportements d’êtres vivants. Ainsi, lorsque Hester Shaw est projetée hors de Londres en compagnie de Tom Natsworthy (Robert Sheehan), un apprenti archéologue, ils sont pris en chasse par deux villes charognardes dont on ne verra jamais la population, filmées comme deux prédateurs sillonnant les plaines à la recherche de proies. Hester et Tom sont sauvés in extremis par une autre ville qui prend plus explicitement l’apparence d’un animal : un mille-pattes. Elle se tapit d’ailleurs sous terre et modifie la topographie des lieux en remontant à la surface. De l’intérieur, à échelle humaine, tout porte à croire que les personnages sont dans un véhicule. Pourtant, de l’extérieur, à l’échelle de la ville, on assiste à l’interaction d’un animal avec son environnement. Ce monde post-numérique autorise ainsi paradoxalement, par la fusion du vivant et de l’urbain, un retour à l’animalité.
Le personnage de Shrike, un cadavre ressuscité et agrémenté d’implants mécaniques, incarne une même tension entre la machine et le vivant. Guerrier impitoyable à l’apparence d’un grand squelette mécanique, ses yeux verts apparaissent comme les derniers vestiges de l’homme qu’il fut. Avant sa mort, un flash-back, teinté du même vert, passe en revue les années passées à élever Hester Shaw après le meurtre de sa mère et atteste finalement de son attachement à la jeune fille. Ce corps, jusqu’alors sans affects, retrouve alors son humanité. Mais l’intérêt que pouvait susciter l’exploration de la vie des machines s’éteint avec ce personnage, tant le film, incapable de maintenir un cap formel, semble tiraillé entre des figures désincarnées et la sophistication d’une esthétique steampunk.