Sur les traces de leurs glorieux aînés du Buena Vista Social Club, les Sons of Cuba font lever un vent de vivacité sur la musique cubaine. Sur les traces de son professeur Wim Wenders, le réalisateur German Kral, lui, s’essouffle vite.
À La Havane, un petit vieux souriant, cigare collé aux lèvres, se rend chez le barbier, où il est accueilli par les mamours de trois jeunes filles apparemment folles de lui. Lorsque monte le son d’une vieille radio sur le comptoir, il se précipite dehors, serviette au cou, pour héler un taxi : c’est lui qu’on vient d’annoncer à la radio, il avait oublié son rendez-vous. Bárbaro le chauffeur n’en croit pas ses yeux : c’est Pío Leyva, un des papis stars du Buena Vista Social Club, qui vient de monter dans sa Chevrolet 1948 ! Producteur-manager à ses heures perdues, Bárbaro saisit sa chance. Il convainc Pío de sillonner l’île à la recherche des meilleurs jeunes musiciens d’aujourd’hui pour former un groupe, les Sons of Cuba. Rappeuse, crooner, trompettiste, chanteuse, pianiste, de reprises de standards en jam sessions, ces talents de vie et de musique iront jusqu’à Tokyo pour célébrer leur culture et la joie.
Inévitablement comparé à Buena Vista Social Club, le documentaire-révélation qui, en 1999, a fait renaître la musique cubaine et apporté une seconde jeunesse à tous ses musiciens septuagénaires, le film de German Kral (dont Wim Wenders est le producteur exécutif) doit faire face à un lourd héritage.
Sur le fond, aucun complexe. Le timbre charismatique de Mayito s’allie à la voix gentiment désuète d’El Nene, contrastée par le phrasé inspiré de Telmary Díaz, lui-même modulé par la puissance d’expression d’Osdalgia Lesmes… le tout rythmé par les piano, basse, tres, trompette, guitare, saxophone et autre trombone, donne un mélange impromptu mais largement réussi grâce au talent indéniable de chacun. C’est que tous ont le plus profond respect pour la musique traditionnelle incarnée par Pío. Mais ils sont également à la recherche de leur identité propre. Les racines des Cubains sont par nature métissées, colorées, multiples : « un Blanc peut avoir un Noir dans sa famille », rappelle Mario Rivera, ce grand Black rasta. De cette union des sangs s’éveille une génération dont la musique est le miroir. Comment, dans son art, accorder le passé avec l’avenir ? Comme ce peuple l’a toujours fait, en s’enrichissant d’influences diverses. Ainsi les styles folkloriques, danzon, mambo, cha-cha et rumba, corrigés par les Sons of Cuba comme précédemment les Afrocuban All Stars, prennent des accents hip-hop, funk, dance, jazzy.
Malheureusement ce projet idyllique ne trouve pas vraiment l’écho filmique qu’il mériterait. Le générique de début en est le témoin. Une succession de plans sur La Havane au petit jour, tous très soignés, sont la preuve d’un travail et d’un engagement certains de la part du réalisateur. Mais la photographie criarde gâche quelque peu le spectacle. De même la séquence en steadicam dans l’école de musique, très réussie, a un effet minoré car elle s’insère mal dans un film dont le pacte de lecture est au départ brouillon. « Documentaire-fiction » annonce l’affiche. Scène pittoresque et drôle de dispute pour partager un taxi : fiction. Osdalgia Lesmes face caméra qui raconte sa vie, manifestement en réponse à une question : reportage. Jeu outré de Pío Leiva : comédie. Systématisme dans l’alternance des scènes chantées et des portraits : documentaire. À cause de cette narration bâtarde, le spectateur hésite à s’emballer. Une belle histoire est toujours plus réjouissante quand elle est vraie. L’émotion bouleversante chez Wim Wenders est donc remplacée chez German Kral par une impression plus vague, une sorte d’acquiescement à distance.
Mais malgré ses défauts formels, Música Cubana atteint son but : donner une image magnifiée de Cuba au travers de sa musique. Tant de talent, de fête, de fraternité, de beauté, de mixité éclipsent alors toutes les misères du monde. Lors du grand concert à Tokyo, le public japonais incroyablement déchaîné reprend en chœur « De Cuba vengo, de Cuba soy ». Si c’est pour partager la joie de ce Cuba-là, soyons cubains pendant une heure vingt-huit.