Quand Djamel Bensalah (réalisateur d’Il était une fois dans l’Oued, Le Ciel, les oiseaux… et ta mère ! et Big City), imagine un remake de La vie est un long fleuve tranquille mâtiné du Prince de Bel Air et en confie la réalisation à son ancien assistant, on peut craindre un florilège de ce que le « film de banlieue » et la comédie franchouillarde (Bensalah a tout de même commis le désolant Raid) peuvent donner de pire. Légère surprise : Neuilly sa mère ! est un chouïa moins mauvais que son titre… mais de là à considérer le film comme une réussite, il y a un pas qu’on ne franchira pas.
Le film démarre sur une voix off laborieuse qui pose le contexte : le jour où sa mère trouve un emploi sur un paquebot, le petit Sami Benboudaoud, 14 ans, est obligé de quitter ses amis et sa cité bien-aimée de Chalon-sur-Saône. Il est envoyé à Neuilly, chez une tante qu’il ne connaît pas et qui a épousé Stanislas de Chazelle, représentant d’une vieille famille française. Sami réussira-t-il à survivre dans cette jungle huppée, à s’intégrer au collège privé Saint-Exupéry et à conquérir la jolie Marie ?
La comédie repose essentiellement sur la sempiternelle confrontation entre deux-milieux-que-tout-oppose. Les gags sont souvent poussifs (les profs de Saint-Exupéry qui oublient ou écorchent systématiquement le nom de famille de Sami), même s’ils sont un poil mieux écrits que le tout-venant du genre. Car si Neuilly sa mère ! n’est jamais vraiment drôle, il n’est jamais non plus sinistre. Quelques répliques (Sami se plaignant de l’uniforme de bon élève que lui achète sa mère à Monoprix : « J’ressemble à l’autre baltringue des Choristes, là ! ») parviennent même à arracher un sourire.
Mais là où le scénario marque des points, c’est dans ses références incessantes à la présidence Sarkozy. C’est un festival d’allusions ou de citations directes qui, à défaut d’être toujours bien amenées, confèrent au film un caractère satirique assez sympathique (même s’il risque aussi d’en hâter l’obsolescence…) Tout y passe : le Kärcher© ; « Ma chambre, tu l’aimes où tu la quittes » ; les chansons de Carla Bruni-Sarkozy et les photos de Rachida Dati ; la proviseure qui rappelle le slogan du collège, « Étudier plus pour réussir plus », avant de donner la lettre de Guy Môquet à apprendre par cœur ; le fils de Chazelle qui rêve de devenir Président de la République, etc. Notre préféré : au détour d’un plan, la présence quasiment subliminale d’une impasse Jacques Chirac…
Bien sûr, l’antisarkozysme reste gentillet : le film doit rester regardable par le public familial visé par TF1 et France 2, qui le coproduisent. Neuilly sa mère ! semble tellement formaté pour une diffusion sur petit écran à une heure de grande écoute que sa sortie en salles ressemble plus à une formalité qu’à une nécessité. La forme s’en ressent : Gabriel Julien-Laferrière ne se pose aucune question de mise en scène. C’est le scénario seul qui impulse du rythme et de l’énergie.
La satire sociale, quant à elle, est clairement le point faible de Neuilly sa mère !, qui n’échappe pas à une certaine démagogie. Comme la plupart des films dits « de banlieue » (cf. le récent et bien plus réussi Lascars), mais aussi comme pratiquement toutes les comédies françaises qui se frottent de près ou de loin à la question des inégalités sociales, le film de Gabriel Julien-Laferrière caresse le public populaire dans le sens du poil en l’opposant à une figure fantasmée du Riche (uniquement défini par ses névroses et sa prétention), et en présentant ses conditions de vie comme idylliques : en banlieue, les gamins sont heureux et bien élevés, et s’ils chahutent un peu les profs (en lançant des avions en papier en classe !), ceux-ci sont tellement ridicules que ça ne prête pas vraiment à conséquence. Avec ses personnages hauts en couleurs, son harmonieux mélange black-blanc-beur et son monopole des vraies valeurs (l’amitié, l’authenticité et la simplicité), la banlieue apparaît comme un petit monde pittoresque et confortable, apte à rassurer le public du 13 heures de TF1, et soigneusement dépolitisé : c’est dans la famille neuilléenne que se déchirent les sarkophiles (le fils) et les ségo-cohnbendistes (la fille). Ces petites joutes sont soigneusement ridiculisées par le film, qui adopte l’indifférence bonhomme d’un Sami qui ne songe qu’à séduire les filles. Si on peut préférer cette mièvrerie à l’aigreur catastrophiste d’une Journée de la jupe, elle pose néanmoins de sérieux problèmes, tant elle conforte un statu quo social et politique qu’elle fait par ailleurs mine d’écorner.
Qu’est-ce qui, pourtant, fait qu’on n’a pas envie de dire trop de mal de Neuilly sa mère ! ? Sa modestie, peut-être – le film ne prétend jamais être plus que ce qu’il est : un aimable divertissement –, mais aussi et surtout son interprétation : il est très rare, en France, que de jeunes comédiens sonnent si juste. Samy Seghir n’a pas à se forcer pour paraître immédiatement sympathique, et Jérémy Denisty arrive à rendre attachant un personnage tellement caricatural qu’il aurait vite pu devenir insupportable à l’écran. Sans rendre pour autant le film recommandable, leur prestation le sauve d’une certaine médiocrité.