Never Forever ou la quête d’une femme guidée par son désir d’avoir un enfant. Pour son couple ou pour elle ? En plus de la filiation, Gina Kim fait intervenir des thématiques fortes (l’immigration, la clandestinité ou l’identité), ce qui n’est aucunement la garantie d’une puissance cinématographique. Il est navrant, presque étonnant, de constater à quel point conventions et tics prennent possession de ce film poseur, jusqu’à sombrer dans le complet ratage.
Pas de round d’observation, Never Forever débute par l’enterrement du père d’Andrew, respectable membre de la communauté coréenne new-yorkaise. Le fiston (David McInnis) a su se montrer digne : la réussite sociale et l’intégration matérialisée par un mariage mixte avec la belle Sophie (Vera Farmiga). Et pourtant, dans le domaine de la filiation il y a comme un problème, et non des moindres : une densité insuffisante en matière de spermatozoïdes. Mais ce n’est pas sans compter sur Sophie qui se met sur la piste de Jihah (Jung-woo Ha), un Coréen dont le visa est expiré. Ce dernier habite Chinatown, au cas où on n’aurait pas compris qu’il est un étranger. Soit une problématique sociale des plus fines : le bourgeois désexualisé, tout le contraire du viril, et pas si vil, prolétaire. Les termes du contrat entre Sophie et Juhah sont limpides : du sperme bien dense contre de l’argent. 300 $ le coït, 30 000 en cas de fertilisation.
Une stylisation vaine, c’est le contrat cinématographique proposé par Gina Kim. La mise en scène est une perpétuelle réitération de ce qui est représenté ou de l’état psychologique des personnages. C’est tellement chic de faire joujou avec les zones de netteté de l’image. Quant à la gestion du cadre, elle fait aussi office de doublon. Puisque la réalisatrice enseigne le cinéma à Harvard, un petit exercice de style. 1) Éloignement et incommunicabilité : Sophie nette au premier plan, Andrew se morfond derrière, dans le flou. 2) Des êtres face à eux-mêmes : Andrew est au piano, la paroi supérieure de l’instrument admirablement lustrée fait apparaître son reflet (pas d’inquiétude, Sophie a droit à la même scène, pas de jaloux dans cette affaire). 3) Rapprochement entre deux êtres intimidés : un lit sépare les deux silhouettes dressées qui se font face, bien rangées au bord du cadre. Dring ! fin de l’exercice. Gina Kim semble tellement en quête d’une légitimité artistique qu’elle va jusqu’à travestir son héroïne en Cindy Sherman, époque pastiche de photogramme : imperméable cintré, coiffure bouclée, yeux clairs, poses effarouchées. Ce faciès est sans cesse baigné de lumières travaillées à l’extrême. Ce qui donne envie de courir au musée se nourrir des superbes clichés de la grande artiste américaine, tiens en voilà une riche idée.
S’ajoute une dernière clause au contrat déjà bien épais : une lourdeur narrative d’à peu près tous les instants, qui finit par sombrer dans les pires conventions, jusqu’à rendre le propos douteux. C’est d’ailleurs le moment de proposer un petit jeu au spectateur pour agrémenter la séance : parier avec son voisin sur le dénouement au début de chaque scène. La victoire sera souvent au rendez-vous. Le rapprochement sentimental entre Sophie et Jihah intervient après une tempétueuse dispute sur fond d’exploitation du prolétariat, tout au moins de son sperme. La belle ne manquera pas de tomber enceinte à la suite de ce premier coït torride et amoureux. Never Forever suit en fait la trajectoire d’une bourgeoise qui s’encanaille dans une garçonnière située dans les bas-fonds colorés et pleins de vie de Chinatown (Gina Kim au directeur de la photo : « tu me mets du chatoyant là mon coco ! ») pour mieux tourner le dos à sa prison aseptisée de la haute société (« lumière glacée s’il te plaît ! »). C’est ainsi une vision presque idéalisée, en tout cas confondante de bêtise, de la pauvreté et de la marginalité. Il convient enfin d’ajouter que le jeu proposé par Vera Farmiga manque cruellement de nuance, torts certainement partagés entre un arc pas assez fourni en cordes et une direction d’acteur laissant à désirer. On songe soudain, ému, à la formidable tension contenue, tout en intériorité, d’Anamaria Marinca dans 4 mois, 3 semaines et 2 jours. Et ça ne fait pas de mal.