Même en cinéma, parfois, les campagnes publicitaires dessinent des images factices. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Entre une bande annonce entièrement muette, dotée d’une fascinante étrangeté dans ce qu’elle laissait entrevoir de beautés androgynes, de poésie, de paresse et de mélancolie – autant d’escapades en dehors du moule du cinéma « d’armée » –, une affiche aux pistes tout aussi sensiblement teintées de nostalgie, et un titre à la fois mystérieusement ouvert et résolument cohérent avec ces images entraperçues, on se léchait les babines à l’idée de ce Noir océan. Belles paroles. Un gouffre sépare le film attendu de celui qu’on a vu. Le résultat est graphique, joliment figé, comme une galerie, mais ne dépasse à aucun moment le stade de l’évocation.
Difficile de dire de quoi parle le dernier film de Marion Hänsel. Portrait crayonné d’une poignée de destins adolescents dans le bain de la guerre, de la dictature du groupe, ou peut être de l’origine de la violence, il ne fait qu’enchaîner d’anodins billets d’humeur sans jamais entamer un début de sincérité. Même s’il se pare d’une incontestable originalité – égéries éphébiques, mises en beauté par un sensible éclat lumineux – qui valait toute notre curiosité, Noir océan est bien trop timide pour ne pas ennuyer.
Quand tu regardes l’abîme
Traversée timide dans le quotidien de ces soldats de la mer, en manœuvre à Mururoa pour opérer des essais nucléaires dans les eaux pâles du Pacifique, Noir océan barbote. Ne définissant jamais vraiment son sujet, il se contente de nourrir quelques espoirs autour de personnages qui finissent par s’avérer totalement désincarnés, pétrifiés dans des postures. Moriaty joue le chien fou, plus mûr, plus changeant, plus conscient, mais conscient de quoi ? Il gesticule, alterne euphorie et désespoir avec une indécision toute neurasthénique, presque bipolaire. Le reste de la troupe complète une photo de classe bouffie, par trop pittoresque, peuplée de frimeurs qui jouent aux cartes, de marginaux soit laids, soit gros, qui peinent à s’intégrer, ou cultivent leur différence, ou bien les deux. Au milieu, Massina joue le témoin vide. Sans histoire, sans passé, sans idée, il n’est que le faire-valoir des personnages sculptés à la truelle qui s’agitent autour de lui.
Né d’une idée graphique plutôt que d’une idée de cinéma, d’histoire, d’êtres humains – Marion Hänsel guettait une œuvre à adapter pour pouvoir faire un film sur l’océan –, Noir océan déclare forfait dès qu’il faut avancer sur une piste, s’enfoncer dans l’inconnu. Il flotte mollement dans son manque d’engagement, ne raconte strictement rien, si ce n’est une succession de moments pesants, presque immobiles. L’engagement, c’eût été la violence prise de front, le vacarme de la houle, la solitude dévastatrice de la distance, ne serait-ce même que des personnages profondément et savamment construits, au lieu de ces créatures toujours ailleurs, ou bien toujours dans l’imitation. On piste régulièrement des enjeux qui auraient valu la peine qu’on les aborde pleinement : notamment la naissance presque inopinée du désir entre ces jeunes hommes livrés les uns aux autres, coupés du monde. Mais Marion Hänsel, absente, ou aveugle, sûrement obnubilée par une idée esthétique, passe son chemin.