Serge Bilé profite du succès de son livre Noirs dans les camps nazis pour promouvoir le documentaire qui en fut l’origine dix ans plus tôt. Il entend ainsi être le héraut de la cause des Noirs et rompre le silence sur ces oubliés de l’Histoire, combattants pour la libération de la France.
À l’heure du 60e anniversaire de la libération des camps nazis, l’urgence est de faire entendre la voix de toute la communauté noire qui a subi la souffrance morale et physique infligée aux déportés immigrés. Et il fallait faire vite, note S. Bilé, peu nombreux sont les survivants noirs de la seconde guerre mondiale. En témoigne dans son reportage le très faible nombre de Noirs interrogés : un Afro-Allemand et un Africain, frère d’un déporté.
Les Noirs, ce sont les africains de la terre d’Afrique, mais ce sont aussi tous les Européens ou Américains d’origine africaine qui ont combattu avec et pour le pays dans lequel ils sont nés ou se sont immigrés. Ces immigrés, au même titre que les autres, italiens, polonais, indonésiens (très présents dans le documentaire) ne sont pas considérés par la France comme des résistants combattants : ils ne perçoivent pas de pension au contraire des soldats français. Tous les immigrés regrettent devant la caméra de Bilé que leur combat pour la France ne soit pas reconnu et rétribué.
Selon Serge Bilé, c’est la mémoire de tout le peuple noir qui est en jeu. Il veut leur faire entendre leur propre histoire, méconnue d’eux à cause, dit-il, des vainqueurs qui écrivent l’Histoire en oblitérant sciemment une partie de ses résistants. C’est aux personnes concernées qu’il appartient de se battre pour que leur souffrance soit reconnue. L’expression cinématographique est une de ces armes au service de la mémoire. Aucune estimation n’a jamais été faite sur le nombre de déportés noirs pendant la seconde guerre mondiale, parce qu’à l’exception d’Haïti, de l’Éthiopie et du Liberia, il n’existait pas de pays noirs indépendants. Les Noirs ont donc été comptabilisés sous la bannière de leur puissance coloniale. De fait, rien ne permet par exemple de distinguer sur le papier un Noir français déporté d’un Breton déporté, affirme Serge Bilé.
Une polémique naît pourtant autour de la thèse de Serge Bilé concernant la déportation des Noirs. Selon lui, si les Juifs ont été considérés par les nazis comme des rats, les Noirs se sont vus traités comme des bêtes sauvages. Il est probable qu’Hitler n’ait pas oublié ceux qu’ils nomment les « bâtards de la Rhénanie », ces enfants des soldats noirs qui ont occupé la Rhénanie après 14 – 18. De même pour les Afro-Allemands originaires des anciennes colonies du Reich vivant en Allemagne avant-guerre. Toujours selon Bilé, les Lois de Nuremberg ne s’appliqueraient pas seulement aux Juifs mais aussi aux Noirs. Ceux-ci sont stérilisés et se voient interdits de s’unir à une Allemande, comme l’affirme l’Afro-Allemand interrogé.
Or, certains professeurs historiens accusent dans un article du journal Le Monde (20/03/05) l’approximation des faits que rapporte Bilé dans son livre (issu du film). L’expression « camps de concentration » n’auraient pas été créée en Namibie mais six ans plus tôt, à Cuba (1896). Le génocide héréro, rappellent les historiens, ne méritait pas les gonflements que Bilé ferait subir aux faits. Si c’est en Namibie qu’on créa les premiers camps de travaux forcés, là que furent effectuées les premières « études » raciales sur les bâtards et les jumeaux, il est cependant faux d’affirmer que les Noirs ont subi des traitements pires que ceux réservés aux Juifs. Selon les historiens, les Allemands ne procédèrent à aucune rafle ni à aucune déportation des populations noires des territoires occupés.
Le documentaire laisse déjà entrevoir la faille dans laquelle s’engouffre le livre. Le très faible taux de Noirs interrogés atteste déjà de la fragile base sur laquelle repose la thèse. Les paroles des combattants immigrés pour la France ne font qu’une voix pour témoigner de la souffrance commune de tous ceux qui ont participé à cette terrible guerre. Du documentaire se dégage seulement la haine raciale d’Hitler à l’encontre de tous les immigrés sans exception. Le racisme ne fait pas de différence entre les couleurs. Bilé, oui.
On notera donc que le documentaire n’accepte pas d’erreur d’investigation parce que la visée pédagogique qui est le fondement même du genre ne supporte aucune faiblesse de recherches en amont du travail cinématographique. La matière première du réalisateur d’un documentaire est la réalité des faits. Ce sont donc les faits qui appellent la thèse, et non l’inverse comme l’illustre le but manqué de Noirs dans les camps nazis. Quand une thèse tord les faits pour concourir à son propos, le résultat se rapproche sensiblement de la propagande. À bon entendeur.