En 2010, Mimran et Nakache offraient un nouveau visage à la comédie française avec l’épopée parisienne d’Ely et Lila, mêlant humour et émotion pour produire un discours profond avec une apparente légèreté. L’opération est périlleuse à vouloir enchaîner des projets proches aussi bien dans leur casting que dans leurs enjeux… Après Tout ce qui brille, le duo d’auteurs-réalisateurs semble porté par une indolence paralysante. À l’image d’un titre facile, Nous York prône une simplicité attendrissante, mais pêche par son incapacité à trouver un ton saillant. Le port d’entrée des États-Unis, décor surchargé de mémoire cinématographique, berce le flottement d’un film aussi hésitant que ses personnages bancals.
Avec ses projections presse bondées, sa tournée province au rythme effréné, ses avant-premières en n’en plus finir et sa page Facebook hyperactive (ouverte dès juin 2011, avant le début du tournage), Nous York cherche bien à « créer le buzz»… pour rester dans l’esprit d’une communication où un langage pseudo-jeune côtoie les expressions de banlieue, afin tutoyer les spectateurs et les draguer à outrance. Afin d’exister dans la marée des sorties hebdomadaires, l’équipe met le paquet pour défendre un film difficile à qualifier. Amitié, famille et identité sont au cœur de cette drôle d’errance dans New York, ville fantasmatique par excellence pour des personnages en quête de reconnaissance sociale et de confort matériel. Nous York oscille entre comédie et mélodrame en adoptant la demi-teinte permanente. La recherche de subtilité est louable pour donner une maturité nouvelle à des personnages proches des héroïnes juvéniles de Tout ce qui brille. Mais, le mélange de genres et l’incertitude de tons ne permettent pas de donner une ossature solide au film, dont la réalisation est à l’image de son écriture en creux.
Samia (Leïla Bekhti) et Gabrielle (Géraldine Nakache) vivent à New York depuis deux ans : la première est l’assistante d’une actrice caractérielle, la seconde travaille dans une maison de retraite juive. En cachette, Gabrielle a préparé l’arrivée de Mikaël, Nabil et Sylvain, leurs copains d’enfance, pour l’anniversaire d’une Samia surbookée. Terre de migration par excellence, New York cristallise tous les fantasmes de réussite sociale et de métissage culturel depuis plus d’un siècle. Ainsi, le premier plan sur la ville montre le bas de l’île de Manhattan, vue d’avion, quand des générations de candidats à l’immigration sont arrivés par bateau par ce même accès, via Ellis Island. On retrouve la capacité du duo Nakache/Mimran à user de comédie pour dire, au détour d’une simple réplique, la complexité d’un personnage en proie à la schizophrénie culturelle et sociale. Ainsi, le personnage de Samia, fille d’immigrés maghrébins, vient se construire en écho au parcours supposé de ses parents. Expatriée aux États-Unis, elle est condamnée à réussir et ne peut exprimer la tristesse d’un travail avilissant, même si elle souffre d’avoir abandonné une mère seule et fragile de l’autre côté de l’Atlantique. Par le regard des trois garçons de Nanterre, le film joue aussi sur la fascination créée par New York, listant les lieux communs sur cette ville-monde que l’on a l’impression de connaître avant de s’y rendre : « ça, c’est dans un film, ça !», s’écrie Nabil à chaque coin de rue dans Manhattan. Nous York explore avec perspicacité le rapport fusionnel de toute une génération à New York. Destination de voyage incontournable, la « ville qui ne dort jamais » est devenue un noyau culturel collectif pour les jeunes Européens, qui l’ont déjà parcourue en long, en large et en travers grâce au cinéma, aux séries télévisées et à la littérature. Nous York vient dire la force de ce phénomène sociétal, sûrement accentué par le delta favorable entre l’euro et le dollar, mais aussi par l’attachement international à cette ville depuis le 11 septembre 2001.
Le film évacue le New York de carte postale pour enfermer le groupe d’amis dans les rues anonymes de Brooklyn, nouvelle banlieue de cette joyeuse bande, reine de la débrouille pour squatter des penthouses dignes de Park Avenue. Mais filmer la ville de New York, c’est se confronter à tous ceux qui l’ont filmée avant et s’engager dans une opération délicate de positionnement esthétique par rapport à la multiplicité des représentations cinématographiques et des usages fictionnels de cette ville. Mais Nakache et Mimran esquivent cet écueil en explorant New York dans sa diversité architecturale et culturelle, recréant une atmosphère de quartier cohérente avec le mode de vie de jeunes expatriés à la recherche de repères familiers. La partie américaine du casting vient aussi dire un certain rapport français à la culture new-yorkaise. Dree Hemingway, arrière-petite-fille d’Ernest et fille de Mariel (Manhattan, Woody Allen), construit un pont entre les cultures française et américaine en interprétant le rôle de Denise, petite amie de Mikaël. Mannequin pour Ford puis Elite, celle qui a quitté l’école à 17 ans pour tenter sa chance à New York incarne une élégance « so Parisian » dans la mode new-yorkaise. Son parcours vient faire écho aux rêves des personnages féminins créés par Mimran et Nakache. Dans sa volonté de s’émanciper de références trop évidentes, Nous York évite les clichés musicaux sur la grande ville de la côte Est pour ne retenir que le plus important : la chanson « New York, New York ». Plus c’est gros, plus ça passe. Si la célèbre phrase « If I can make there, I’ll make it anywhere » ponctue le parcours de la bande de Nanterre, la chanson de Sinatra construit aussi la plus belle scène du film, où le montage parallèle dévoile la mélancolie des cinq copains par le chant a cappella.
Parsemé de bonnes idées de mise en scène, Nous York ne prend jamais son envol. Il manque un moteur dans cette bande où les personnalités se côtoient sans jamais éclater. La parole ludique et performante de Tout ce qui brille est oubliée au profit de dialogues simples mais lisses, où les blagues (gâchées par la bande-annonce) peinent à arracher plus qu’un sourire. Les relents d’un dialecte banlieusard parsèment toujours le langage, mais les répliques ne prennent pas sous leurs airs de punchlines. Verlan et expressions de cité rappellent l’ancrage social et l’identité française d’individus noyés dans le labyrinthe d’une ville plus complexe que son mythe. En prise avec une nouvelle expérience de marginalité, la bande de quartier doit inventer des repères dans un espace où les tensions entre centre et périphérie obéissent à une topographie différente. Tout ceci pourrait être passionnant, mais l’errance n’aboutit qu’au désenchantement pour les personnages comme pour nous. On sort de la salle avec l’impression d’avoir vu un essai fade, brouillon fini à la hâte, dans la foulée frénétique et trop grisante du succès mérité de Tout ce qui brille. Le point de comparaison est inévitable pour un film construit sur une évidente filiation, malgré une recherche de différenciation mal négociée. Géraldine Nakache et Hervé Mimran se reposent sur les acquis de leur première collaboration, le « capital sympathie » de leurs interprètes et l’alchimie du duo Nakache/Bekhti. On aurait souhaité qu’ils prennent davantage de temps et de recul pour renouveler une expérience prometteuse.