Cameron Crowe est déjà un vieux lion de l’industrie cinématographique américaine. On le connaît pour les succès plus ou moins justifiés de Jerry Maguire, Vanilla Sky ou Presque célèbre. Avec Nouveau départ, il atteint un étonnant degré de transparence, tant la fadeur de la mise en scène pousse à oublier jusqu’à la présence d’un réalisateur.
Dans une courte séquence assez drôle qui ouvre Nouveau départ, le jeune fils de la famille raconte le métier de son journaliste-aventurier de père, et décrit du même coup la figure du vieil héros américain en perpétuel voyage dans le monde. Son double, le self made man, héros communautaire à la ville et cow-boy à la campagne, était un dur et un protecteur de son empire et de sa famille. Mais l’Amérique a vécu, et si elle produit toujours de vieux héros de cinéma, elle doit aussi s’adapter à une réalité moins brute et plus complexe à rendre.
Le rêve américain aujourd’hui ? Désormais prenez deux stars sexy – Matt Damon et Scarlett Johansson –, plongez-les dans une vie des plus civiles. Gardez les normes – la famille en danger, des terres à conquérir –, écrivez-leur d’habiles embûches, n’oubliez pas les secrètes blessures de l’homme et la patience de la femme. À la fin, c’est comme avant, l’Amérique sera sauve. Qu’est-ce qui a changé ? Rien : le héros a fini par ressouder sa cellule familiale, fédérer le petit peuple (les personnages secondaires) autour de son action, le spectateur a rêvé. Ah si : dans l’univers très cadré des films de studio, des hommes produisaient d’étonnantes trouvailles formelles et dissimulaient des idées dans les images. Des hommes devenaient des auteurs. Pourrait-on dire qu’aujourd’hui le système de travail est à ce point différent que l’apparition d’une personnalité est devenue impossible ? Certainement pas constamment, et le système lui-même est trop friand de jeunes à stariser pour en nier absolument la figure. Mais combien de ces films que l’on propulse à coup de plan media sont aussi lisses que Nouveau départ ? Beaucoup.
Nouveau départ raconte les premiers mois d’un père (Matt Damon), de sa craquante petite fille, de son triste et bougon préadolescent, après la mort tragique de sa femme. Il quitte son travail et s’enlise dans une maison où tout lui rappelle son amour perdu. Cherchant une nouvelle propriété pour un nouveau départ, il découvre que la demeure qui lui convient parfaitement n’est autre qu’un zoo décrépi, avec sa faune sauvage et ses employés, une typique et sympathique bande de personnages secondaires menés par Scarlett Johansson, dont la salopette et les bottes n’entament en rien la sensualité. L’affaire se profile en vingt minutes, reste à se régaler du parcours qui mènera à la nouvelle famille. Pourquoi pas ? Et c’est vrai, Matt Damon et Scarlett Johansson paraissent presque frais et candides devant ces rôles plutôt inhabituels.
Chez les héros américains classiques, toute la surprise venait de l’image, du cadre et du tournage, bâtis sur un scénario schématique et souvent fort maigre. Aujourd’hui, peut-être est-il travaillé par des armées de scénaristes, comme c’est le cas pour la plupart des séries, ce qui laisse au tournage une marge de manœuvre bien fine entre cette écriture et la postproduction. C’est une hypothèse, et nous ne savons pas comment a été construit Nouveau départ. Mais c’est pourtant ce qui frappe : le drame, puis la mise en place de l’enjeu, des dangers jusqu’à la résolution finale, reposent si rondement sur une série d’évènements modulés, qu’il n’y a plus de place, ou si peu, pour le récit que doit en faire la caméra. Seule reste l’histoire, sans art de la mise en scène, sans subtilité. Simplement enregistrée très professionnellement, puis accompagnée de légers effets, elle ne laisse à l’image que la seule beauté de son efficacité publicitaire.