Atsuko Hirayanagi, jeune réalisatrice japonaise ayant fait des études de cinéma aux États-Unis, prolonge avec Oh Lucy ! son court-métrage homonyme. Centré sur le personnage de Setsuko, quinquagénaire tokyoïte qui détestait sa vie et tombait sous le charme de son professeur d’anglais d’origine américaine, le film avait récolté toute une moisson de prix aux quatre coins du monde. Pour le second tour version long-métrage, le casting change, mais les vingt premières minutes restent identiques. Au sein d’une capitale japonaise peuplée de mornes travailleurs suicidaires au regard éteint, surgit une fois de plus le réconfortant John, tout en contacts physiques et exclamations made in USA. Setsuko rêve alors de se transformer en Lucy, surnom qui lui est attribuée pendant les cours, et voit en ce bel étranger une planche de salut. Mais ledit John s’envole vers les États-Unis avec la propre nièce de Setsuko, de trente ans sa cadette, dont il est éperdument amoureux depuis qu’il l’a découverte en tenue aguicheuse dans un bar à concept typiquement japonais. À ce chassé-croisé de fantasmes, la réalisatrice décide donc d’ajouter un second temps : celui du voyage de Setsuko pour retrouver John à Los Angeles et fuir cet environnement qu’elle déteste.
Voyage tout confort
Cette première étape au Japon visant à peindre une société étouffante et hypocrite souffre d’un mal de son temps. Le choix d’une image parsemée, entre autres, des incontournables et pittoresques lueurs de néons nipponnes, se complaît dans une suite de de motifs attendus et confortables. Que ce soit dans le bureau de Setsuko ou dans le monde nocturne de la ville, tout reste dans un entre-deux doux-amer. Sauf qu’à bien y regarder, il s’agit surtout de conventions esthétiques bien établies, qui inondent depuis plusieurs années « l’indé américain ». Baignant dans cet univers aux teintes dé-saturées ponctuées de tâches de couleurs acidulées, cette photographie-là est un automatisme dès lors qu’il faut filmer les errances d’un personnage au regard un peu détaché sur ce qui l’entoure. Dans cet album d’images douillet qui pourrait s’adapter à n’importe quel lieu filmé (et la suite du film le confirmera), se met en place une succession de scènes amusantes et/ou dramatiques. Les premières s’attachent à toutes sur les petites bizarreries qui apparaissent quand deux cultures se rencontrent. Souvent amusantes, elles sont surtout anecdotiques, les plus drôles étant d’ailleurs celles qui assument ce statut de pures anecdotes. Les scènes de dénonciation de la société japonaise ne s’arrachent quant à elles jamais de tous les clichés attendus : le monde du travail étriqué, la tendance suicidaire, la ville inhumaine… Le tout ne parvient à l’arrivée à rien de plus (mais n’est-ce pas ce qui est justement recherché ?) qu’un constant sourire de tendresse à l’encontre d’un personnage taillé sur mesure pour être identifié comme gentiment déphasé.
Le voyage aux États-Unis poursuit ainsi sur la même lancée, malgré de jolies tentatives d’incursion dans le paysage d’une Californie des marges. Setsuko/Lucy, accompagnée de sa sœur (mère de la nièce en question), parcourt de larges avenues longées de stations-services, de parkings et de motels, et découvre un monde aux antipodes de la densité des villes japonaises. Pour autant, aucun jeu sur ces nouveaux espaces ne se produit jamais, le film restant accroché à sa petite routine et à ses intrigues familiales et sentimentales. Parfois, Setsuko et sa sœur rencontrent de gentils Américains (des moins gentils aussi, mais jamais rien de bien grave), dont le look ne cesse bien entendu de les surprendre. Josh Hartnett porte à merveille la tenue du yankee détendu et sympathiquement irresponsable, accompagnateur de nouvelles expériences, comme conduire une voiture, manger dans un diner de bord de route, fumer de l’herbe, se faire un tatouage… Le récit enfile anecdotes sur anecdotes, certaines réussies, d’autres parfaitement anodines, comme autant de petits court-métrages se succédant les uns à la suite des autres. S’il est une impression qui ne se dément jamais, c’est celle d’un trajet dans un véhicule tout confort, à travers la vitre duquel serait porté un regard attendri sur les paysages qui défilent, même quand il s’agit de dire que, quand même, la Californie ça peut être moche. La dernière partie du film au ton soudainement plus dramatique, qui se voudrait une rupture, finit d’achever ce qui s’apparente à un album photo plutôt réussi au premier regard, mais qui, aux antipodes d’un voyage, révèle malgré lui un constant sur-place.