Le milieu carcéral, terrain de la violence tant psychologique que physique et symbole de la claustration absolue, inspire depuis belle lurette les cinéastes de tout poil, de Jacques Becker (Le Trou) à Alan Parker (Midnight Express) en passant par Jacques Audiard (Un prophète). Mais force est de constater que les caméras se penchent plus souvent sur le destin des mâles incarcérés que sur la vie des prisonnières. C’est pourtant le parti-pris risqué du premier long métrage de Stéphane Cazes. Dans Ombline, le réalisateur suit les trois années d’enfermement de la jeune fille qui donne son titre au film, période qui coïncide avec un moment très particulier de son existence : sa maternité.
Petite délinquante colérique et agressive, Ombline (Mélanie Thierry) écope d’une peine de trois ans de prison pour agression. À peine installée dans sa cellule, elle découvre qu’elle est enceinte. La grossesse, l’accouchement, les dix-huit mois qui suivent (âge auquel l’enfant est retiré à sa mère) et l’année derrière les barreaux sans son enfant constituent la chronologie du film, sa trame narrative et son intensité dramatique. Tout commence et tout finit (ou presque) entre les quatre murs de cet univers clos.
Si a priori, Ombline ressemble à ces films « Dossiers de l’écran » qui donnent lieu à un débat de société après diffusion télé, il n’est pas que ça, loin de là. Malgré les séquences obligées de baston pendant les promenades, d’animosité et/ou d’amitié entre détenues ou encore les face-à-face administratifs avec le personnel pénitentiaire, le film parvient rapidement à trouver un angle singulier au travers du changement de statut de l’héroïne. De fille, elle devient mère, responsable obligatoire d’un enfant qu’elle n’attendait pas. Outre les difficultés concrètes d’une grossesse, accrues par l’emprisonnement (l’accouchement devenant un moment de tension extrême au regard du règlement inadapté à la situation), ce sont principalement les bouleversements intimes d’Ombline qui intéressent le réalisateur. Comment devient-on mère dans un monde brutal, aux antipodes du cocon de douceur qu’on imagine pour la maternité ? Qui vous transmet l’apprentissage des gestes maternels (pas forcément instinctifs) quand on vit seule, coupée du monde extérieur ? Quelle vie offre-t-on à sa progéniture lorsqu’on la fait grandir en milieu fermé ? Déconstruisant le mythe de l’instinct maternel, Stéphane Cazes met à jour les questions, les hésitations, les erreurs que toute nouvelle mère connaît, décuplées par le contexte carcéral.
Tenu de bout en bout par l’interprétation (juste) de l’actrice qui porte le film sur ses épaules, Ombline s’égare parfois sur le terrain de l’émotion facile (les retrouvailles familiales par exemple), oubliant que la subtilité sert plus la dramaturgie que les grosses ficelles qui font pleurer. Heureusement, dans sa dernière partie (quand le fils d’Ombline est placé en famille), le métrage s’oriente vers une nouvelle piste. La réinsertion doit débuter en prison mais paradoxalement le lieu semble plus propice à la dégringolade qu’au redressement moral. Partageant sa cellule avec une mère de famille bourgeoise (Catherine Salée) et une meurtrière junkie (l’incroyable Corinne Masiero), Ombline mène son ultime combat. Ses options ? Résister aux pressions qui s’exercent (chantage, deal, agressivité latente) et gagner son ticket de sortie ou répondre œil pour œil, dent pour dent, au risque de prolonger sa peine. Finalement peu approfondie, cette partie relève tout de même le défi de montrer le microcosme d’une maison d’arrêt de femmes. Si les situations exposées se font l’écho de scènes déjà vues dans des films testostéronés, leur traitement évite l’angélisme féministe (le lieu commun selon lequel les femmes seraient moins violentes, moins vicieuses et moins dangereuses que les hommes) et donne à voir une réalité trop souvent absente des écrans.
Sans révolutionner les codes des films de « zonzon », Ombline propose une lecture singulière du passage à l’âge adulte. En usant de la maternité comme d’une rédemption, Cazes réussit un portrait de femme en pleine révolution, un « work in progress » émotionnel qui ne laisse pas indifférent.