Le premier long-métrage d’animation de Kenji Iwaisawa a de quoi étonner : non seulement à cause de la simplicité de son scénario, prétexte à des scènes musicales et de comédie, mais aussi par son choix étrange d’employer une technique peu commune pour un film d’animation japonais : la rotoscopie. Ce procédé, qui consiste à calquer des traits de dessins sur des prises de vue réelles, permet une grande fluidité et fidélité des mouvements tout en faisant économiser aux animateurs un temps précieux (le film est produit sur de nombreuses années par une équipe principalement constituée d’amateurs). En appliquant cette méthode aux seuls personnages, le réalisateur crée un décalage entre des figures très mobiles et des arrière-plans en grande partie fixes et plats réalisés grâce à des techniques plus traditionnelles (de simples dessins, de l’aquarelle). Deux régimes d’images incompatibles cohabitent, pointant ainsi l’appartenance des personnages et des décors à des univers opposés. D’un côté le monde extérieur, celui du travail, de la vie active, qu’il faudra rejoindre à l’issue des études. De l’autre, des corps en mouvement, des individus qui n’existent que les uns par rapport aux autres dans des rapports simples et gratuits : les lycéens traînant ensemble. En somme, le monde du travail contre le monde des potes. Cette séparation est au fond naturelle au regard du scénario : il s’agit d’observer un groupe de lycéens désœuvrés, que leur scolarité n’a pas formé à un quelconque métier, ou qui aspirent à un autre horizon, sans toutefois savoir exactement lequel. La fin des études approche inéluctablement et le petit monde confortable du lycée dans lequel on pouvait se contenter d’exister, en compagnie de ses copains, arrive à son terme.
Alors que faire ? Fonder un groupe de rock est la solution que trouve Kenji à ce problème existentiel. Ou plutôt, ce que fait Kenji, c’est se fier à ses instincts, soit se lancer dans de multiples projets au gré de ses lubies passagères (la boxe, les jeux vidéo, etc.), jusqu’à enfin trouver une occupation qui ne le lasse pas. Dans On-Gaku : Notre rock !, il s’agit de la musique, qui permet au groupe de faire le pont entre les deux régimes d’image qui les tiraillent (les formes en mouvement contre le fond fixe). Ce ne sont cependant pas les personnages qui s’adaptent au monde mais l’inverse : ils parviennent à accorder l’univers à leurs désirs. La musique du petit groupe semble de fait affecter la technique employée pour représenter les arrière-plans : lors des scènes musicales, la rotoscopie s’étend et dépasse le simple cadre des personnages et permet à ces lycéens d’exister au sein d’un monde qui les accepte. D’abord discrètement : lorsqu’un chanteur de folk entame sa balade, un vent imaginaire (la scène est en intérieur) secoue ses cheveux. Puis, alors que le groupe se produit dans un festival, une évolution de la forme s’opère : la caméra zoom, tremble, tourne autour des personnages, épouse leurs mouvements. Plus rien désormais ne les sépare du monde extérieur. La rotoscopie jusqu’ici partielle est alors employée pour représenter la scène dans son ensemble, et accorde dans un long jam final les mouvements des corps avec ceux du monde. Le petit groupe de lycéens y a trouvé une place.