Loin des comédies musicales traditionnelles et des paillettes qui les accompagnent, Once n’est pas sans rappeler le Dogme 95 pour l’esthétique minimaliste qui le caractérise. Une belle histoire d’amour, portée par des acteurs non professionnels très convaincants. Un brin trop sentimental, mais c’est un joli conte auquel on croit tout de même.
De l’Irlande du boom économique, nous aurons l’envers du décor : la grisaille des quartiers pauvres, les petits métiers pour survivre, l’immigration. L’entraide aussi, qui colore le quotidien de ceux qui n’ont rien à perdre, et beaucoup à gagner. Le film commence sur les accords plaqués par un musicos sur une vieille guitare déglinguée, dans les rues de Dublin. Un jeune paumé (drogué peut-être, un peu fou sûrement, misérable sans aucun doute) lui vole l’étui de sa guitare, où les passants ont déposé quelques pièces. L’objet est récupéré au terme d’une brève course poursuite, et le guitariste lâchera cinq euros au pauvre hère plus à plaindre que lui. La scène est filmée en caméra à l’épaule, comme le sera tout le reste du film, pour un effet « prise de vue en amateur », et d’emblée nous sommes séduits par le naturel et la sincérité qui se dégagent du jeu des acteurs. L’esthétique minimaliste s’avère être le versant stylistique de ce parti pris de filmer la réalité sans la sublimer. Pas d’acteurs professionnels (Glen Hansard est le chanteur du groupe irlandais The Frames, dont John Carney avait été, au début des années 1990, le bassiste ; la jeune Markéta Irglová avait travaillé avec le groupe pendant un temps), pas de maquillage, pas de jeux de lumières, une mise en scène dépouillée : l’esthétique déréalisante de la comédie musicale n’est pas de mise dans ce film tourné en deux semaines. C’est par la musique seule que la magie opère.
Le scénario est simplissime : Once raconte une histoire d’amour entre deux jeunes mélomanes un peu paumés, un peu décalés. Tous deux ont dans leur cœur une plaie mal refermée, une histoire d’amour qu’ils veulent croire terminée mais qui constitue en eux comme une faille qui les fragilise. Lui, c’est le guitariste dont nous avons parlé, qui répare des aspirateurs quand il n’est pas dans la rue. Elle, c’est une jeune immigrante tchèque, mère célibataire, qui vend des roses dans cette même rue, fait des ménages pour gagner sa vie, et joue du piano tous les midis pendant une heure, chez un marchand de piano. Un soir, elle interpelle ce musicien dont les chansons l’émeuvent tellement, elle est indiscrète, surprenante (elle traînera son aspirateur cassé dans les rues de Dublin pendant toute une séquence, comme un petit chien tenu en laisse). Elle le force, avec une innocence désarmante, à lui raconter cette histoire d’amour, mal terminée, dont elle a décelé la présence dans ses chansons. Aux questions que lui pose la jeune femme, il répondra en chantant. Et la chanson devient tout naturellement le mode de communication de ces deux mélomanes, entre lesquels va naître un amour intense et platonique, une histoire de quelques jours, le temps d’enregistrer un disque. Dans Once, la musique n’est pas seulement le moyen d’exprimer autrement ce que le discours pourrait dire : elle est le point de rencontre de deux êtres qui se découvrent, se répondent, se libèrent, s’affirment, à travers elle. Grâce à elle et par elle. Elle est le moteur même de la progression dramatique, car le film, selon les propos mêmes du réalisateur, nous livre « un monde où trois minutes de chanson valent dix pages de dialogue ».
La poésie infiltre chaque image, chaque musique. On pourra regretter, il est vrai, que Once appuie un peu trop sur la fibre sentimentale, que les chansons privilégient trop constamment la veine romantique, celle de la nostalgie et de la tristesse. Il en résulte par endroits des effets de longueur, et le sentiment d’être poussé malgré soi à l’attendrissement. Un effet « tire-larmes » par moments. Mais le film évite des écueils auxquels son sujet et sa forme risquaient de le mener. Le réalisateur a ainsi su insérer des touches d’humour qui viennent désamorcer la menace de pathos. Le rôle donné aux personnages aurait pu agacer par un côté vaguement misérabiliste et une certaine naïveté dans leurs rapports, mais le jeu extrêmement sincère des acteurs vient au contraire renforcer la poésie qui naît des chansons par lesquelles ils s’expriment. Initialement, Glen Hansard n’était d’ailleurs chargé que de la composition des musiques du film. Selon les propos de John Carney, il est vite devenu évident qu’il serait le plus à même d’interpréter ce rôle qui prenait forme à mesure que les chansons étaient composées. Nul étonnement, alors, à ce que son jeu sonne si vrai.
Le film se donne à lire — et à entendre — comme un conte, et nous ne saurons jamais le nom de la marchande de roses et du musicien de rues. Nous nous laissons simplement porter par cette belle histoire d’amour, qui égrène les chansons comme un chapelet, et se clôt sur cette image douce-amère : l’époux de la jeune femme est revenu, et l’on voit, à travers la fenêtre, comme en un tableau, la petite famille recomposée, autour du piano offert par le guitariste avant qu’il ne parte retrouver son ancien amour à Londres. Image d’un bonheur retrouvé. Peut-être. La jeune femme lève les yeux, et regarde par la fenêtre, vers un ailleurs lointain où se trouve ce jeune homme avec lequel elle a vécu cette belle histoire d’amour au cœur de Dublin. Ici encore l’image est un peu trop appuyée. Mais c’est un conte qui nous est chanté : et il emporte tout de même l’adhésion.