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Orlando, ma biographie politique

Orlando, ma biographie politique

de Paul B. Preciado

  • Orlando, ma biographie politique
    • France2023
    • Réalisation : Paul B. Preciado
    • Scénario : Paul B. Preciado
    • Image : Victor Zébo
    • Décors : Anna Le Mouël
    • Costumes : Thomas Goudou, Caroline Spieth
    • Son : Arno Ledoux
    • Montage : Yotam Ben-David
    • Musique : Clara Deshayes
    • Producteur(s) : Yaël Fogiel, Laetitia Gonzalez
    • Production : Les Films du Poisson, 24 Images, Arte France
    • Distributeur : Jour2fête
    • Date de sortie : 5 juin 2024
    • Durée : 1h38

    Orlando, ma biographie politique

    de Paul B. Preciado

    Un nom à soi


    Un nom à soi

    Orlando, c’est d’abord le nom du personnage principal d’un livre de Virginia Woolf paru en 1928. Dans ce roman, un jeune noble de la haute société anglaise fait l’objet d’une mystérieuse transformation : après un sommeil inexplicable long d’une semaine, il se réveille femme. Par cette métamorphose, Orlando s’affirme ainsi comme l’un des premiers personnages transgenres de la littérature. Paul B. Preciado, transgenre lui aussi, a été bouleversé par la lecture de ce roman et en a tiré la matrice de son film : en passant par le protagoniste inventé par Woolf, il dépeint non seulement sa propre expérience de la transidentité, mais aussi celle d’une communauté politique dans son ensemble. Pour figurer ce principe, le réalisateur filme de multiples interprètes amateurs LGBTQIA+ qui incarnent tour à tour Orlando. En donnant corps au témoignage du personnage, les acteurs et actrices (qu’ils soient masculins, féminins ou non-binaires) font en réalité le récit de leurs propres expériences. S’organise ainsi un échange : tandis que les différentes incarnations féminines et masculines d’Orlando défilent à l’écran, les mots du personnage font réciproquement exister les membres successifs d’un collectif se construisant sous nos yeux. Une communauté d’Orlandos, placée sous le patronage d’un personnage fictionnel, qui regroupe sous un même nom une somme d’identités fluctuantes et revendiquées comme telles.

    Le parti pris est séduisant, mais se voit malheureusement desservi par ce que le film met progressivement en place. Preciado peine à prendre en charge cinématographiquement la dimension changeante de l’identité d’Orlando, comme le faisait Virginia Woolf par sa prose poétique et mouvementée. Une idée au début du film semblait pourtant supposer que la mise en scène allait s’emparer de cet enjeu. Orlando, encore jeune, se promène en forêt. Il s’approche du pied d’un grand arbre et le caresse, tandis qu’en voix off les mots de Woolf déversent une litanie de métaphores, comme une pluie de mots ruisselant du personnage lui-même. Or cette voix off n’est pas récitée par un seul acteur mais par une foule de voix qui se succèdent et se chevauchent : un timbre chasse l’autre en plein milieu d’une phrase, faisant entendre par le mélange des inflexions plus ou moins graves et aiguës la fluctuation de la voix-même du personnage, changeante, impermanente, brisant les carcans de la masculinité et de la féminité. Orlando passe alors derrière l’arbre et réapparaît doté d’un autre visage, opérant de la sorte le premier passage d’un interprète à l’autre. Hélas, le film paraît par la suite plus intéressé par le parcours du personnage que par sa voix intérieure, qu’il fait entendre sommairement par une suite de monologues filmés comme des interviews. Il s’enferme alors rapidement dans une esthétique pop et flashy, sous influences notables d’autres artistes de la communauté LGBTQIA+ (notamment le couple de plasticiens Pierre et Gilles, présents dans le film), qui entrave la possibilité d’une réelle bifurcation. On garde alors l’amère impression que le film passe à côté d’un sujet plus beau encore que la trajectoire émancipatrice d’Orlando : l’invention d’une forme figurant le mouvement même au cœur de la transidentité.

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