En Chine, de nos jours, un père, une mère et leur fille vivotent du commerce des sacs faits main, dans un appartement à la limite de l’insalubrité, grand de 50 m². C’est sur ce seul canevas que la jeune réalisatrice Liu Jia Yin réalise son premier long métrage, en 22 plans fixes sur le quotidien d’une famille pauvre. Lumières glauques, son saturé ou trop bas, absence de mise en rythme : la réalisatrice assume ces partis pris ultraréalistes et livre un film abscons et élitiste.
Les sélections de la collection « cinéma découverte » de MK2 ont souvent fait montre d’une ouverture d’esprit rafraîchissante et stimulante, notamment concernant les films venus d’Asie. C’est de Chine que nous arrive aujourd’hui cet Oxhide, qui se situe dans la frange la plus extrême d’un cinéma qui répugne à se plier aux exigences d’une narration traditionnelle. Malheureusement, il est ici difficile de tracer la limite entre une volonté sciemment affichée d’un réalisme pur et un manque de moyens écrasant.
Liu Jia Yin, la réalisatrice, a tourné son premier court métrage à 21 ans, en 2002. Oxhide est son premier long et elle avoue que toutes les imperfections techniques sont volontaires et assumées : image très sombre – la plupart des séquences ayant été tournées de nuit, son hésitant entre une saturation agressive et un murmure presque inaudible, et des acteurs – elle-même, sa mère et son père — parfaitement amateurs. Le récent Bubble de Soderbergh choisissait de monter un scénario de thriller avec des acteurs amateurs, sans effet de style, avec une narration qui, pour être dépouillée et réaliste, était extrêmement maîtrisée dans le montage et le rythme pour souligner l’essentiel de son propos : la possibilité d’épurer au maximum une mise en scène et de conserver malgré tout l’essence d’un polar. Oxhide pourrait se définir comme l’autre face de la pièce : avec des intentions similaires, la réalisatrice présente une saga familiale réaliste en 22 plans fixes où le cadrage semble vouloir mettre son spectateur à l’épreuve, en se focalisant sur des détails du quotidien au potentiel cinématographique pauvre. On se souviendra du bain de pieds des femmes de la famille cadré sur les bassines, du réveil des personnages filmé en se focalisant sur un détail des couvertures du lit…
Comme les éprouvantes imperfections techniques, ces cadrages déstabilisants sont une intention avouée de la réalisatrice : il s’agit, dans un film présenté comme une fiction, de livrer une peinture du quotidien de la jeune cinéaste. Le film réussit, malgré tout, à soutenir l’intérêt du spectateur attentif, et quelques séquences parviennent à insuffler une beauté décalée à l’ensemble, notamment la séquence finale, d’une sombre et déchirante poésie. Mais pour aller droit au but, il faut souligner que ces quelques moments tirent avant tout leur intérêt de la comparaison avec le reste d’un film que l’on subira plus que l’on ne l’appréciera.
Exemple extrême d’un cinéma intellectualisé et élitiste, Oxhide n’est pas tant un film raté qu’un film qui n’est pas à sa place. Accompagné d’une campagne médiatique adéquate (on peut penser par exemple à des conférences-débats, ce qui ne serait pas inédit de la part de MK2), le film pourrait ne pas s’aliéner une majeure partie du public. Tel quel, il s’adresse avant tout à la critique et aux cinéphiles les plus aventureux. Un tel gâchis ferme à jamais les portes d’Oxhide au plus grand nombre, ce qui n’est finalement rendre service ni au film lui-même, ni au cinéma d’auteur dans son ensemble.