Un titre en forme de prière : « Notre Père, qui êtes aux cieux… ». Une adresse notoirement peu efficace, en termes de réponse immédiate. Et pourtant, la présence fantomatique du « père », mystérieux, protecteur et divin, va se révéler pour les protagonistes de Padre Nuestro, jeunes perdus sans collier. Mais au prix de quoi les liens du sang se forment-ils ?
Christopher Zalla est fiévreux. Dans son écriture sans concession, peinture d’une frange invisible et misérable (au sein hugolien du terme) de l’humanité urbaine, comme dans l’intensité de sa mise en scène, collant au plus près au quotidien sordide de ses protagonistes, petites mains qui n’échappent que de peu à la plus sordide des misères. Trop plein d’enthousiasme ? Radicalisme exacerbé ? Désir de se singulariser ? Toujours est-il que la recette a séduit Sundance, qui a consacré le film avec son Grand Prix.
Il faut avouer que le sujet s’y prête. Padre Nuestro suit le périple de deux jeunes émigrants partis du Mexique pour New-York. L’un va tenter d’y retrouver son père, lettre de recommandation maternelle à l’appui ; l’autre fuit simplement la misère, par-delà le Rio Grande. Mais lorsque le second vole les affaires – et donc la précieuse lettre – du premier, la question se pose : qui des deux trouvera un père ?
Christopher Zalla se défend d’avoir voulu réaliser un film sur l’immigration aux États-Unis, soulignant que la nature de migrants de ses protagonistes n’est qu’une circonstance dans sa peinture des rapports de famille. Soit. Il reste cependant que cet aspect de Padre Nuestro demeure d’une puissance rare – et d’une maturité narrative saisissante. Tout droit sortis d’un roman new-yorkais de William Burroughs, les jeunes Diego et Pedro, le vieux Pedro, la junkie Magda frappent par leur absence de manichéisme. Aucun d’entre eux n’offrira la respiration positive qu’on attendrait d’un scénario moins radical. Tous sont tour à tour grandioses, héroïques, pleutres, lâches, désarmants, menteurs ou sublimes. Ils parcourent tous la corde raide, tendue au dessus des abîmes prêts à engloutir les plus fragiles. En cela, Padre Nuestro constitue une plongée étouffante dans les eaux troubles de la clandestinité à New-York.
Qu’en est-il, dès lors, de l’intention première de Christopher Zalla, de proposer un essai sur la construction du lien père-fils ? Là encore, l’écriture cinématographique brille par sa justesse – même s’il convient de préciser que les acteurs ont été encouragés à improviser. « Cassavetes travaillait de cette façon et pensait que l’image était secondaire dès l’instant qu’il avait capturé quelque chose de vrai des acteurs. Je pense que si l’on développe un langage cinématographique, il n’est pas nécessaire de faire ce sacrifice », note le réalisateur. Christopher Zalla privilégie, en guise de langage cinématographique, une caméra portée hystérique, aussi désireuse de capturer le « vrai » que de styliser l’isolement, la misère morale de ses sujets. Hélas, cette frénésie de capture du réel s’apparente parfois à une indécision, une incapacité à poser un regard. On comprend bien la volonté presque naturaliste du réaliste de vouloir laisser son spectateur libre de son regard, mais son procédé esthétique ne donne parfois pas même la possibilité d’en adopter un.
Est-on en train de louer un film pour autre chose que les intentions de son réalisateur ? Tout de même pas. Zalla, jeune réalisateur, fait montre avec son Padre Nuestro d’un enthousiasme désarmant, mais expose avec force la pertinence de son expression. Peut-être pas un coup de maître, mais ça y ressemble beaucoup.