En huit longs métrages, la « touche Klapisch » a fait mouche dans une veine particulière : celle de la comédie sociale à la fois légère et profonde, de la chronique de groupe (les jeunes, la famille, les trentenaires…) douce amère. Sans prétention et sans révolution formelle, le réalisateur avait su néanmoins imprimer un ton particulièrement drôle et juste au Péril jeune (1995), à Chacun cherche son chat (1996), à Un air de famille (1996), à L’Auberge espagnole (2002). Paris ne parvient pas à retrouver ce ton fluide et agréable : Klapisch a perdu son œil aiguisé pour le détail signifiant, pour ne plus proposer qu’une succession d’anecdotes sans queue ni tête. Un « film choral » des plus plats, que la ribambelle de grands acteurs ne parvient pas à tirer vers le haut.
Le dernier film de Cédric Klapisch s’appelle donc « Paris ». On salivait d’avance, car si le réalisateur possède bien une qualité, c’est celle d’insérer sa caméra dans la ville, de faire de la capitale un personnage à part entière, de traquer la cour intérieure, le morceau de trottoir, le zinc où les histoires se font et se défont, dans ces cadres particuliers. Hélas ! Point de Paris dans Paris, et l’on cherche en vain un cadre réellement signifiant aux déambulations des personnages, tant ce qui est proposé ici est artificiel : un marché d’un quartier populaire, sous la ligne aérienne de métro, une boulangerie traditionnelle « typique », un restau PMU en lisière de Paris, un grand amphi de la Sorbonne, un nouveau quartier type « très grande bibliothèque », un trois pièces-balcon et sa cage d’escalier où on croise les voisins (une seule, ici, la vétéran Madame Renée…) : Klapisch a transformé ses lieux de prédilection en décors de carton-pâte qui ont perdu toute leur âme. Des décors qui ne semblent être là que pour saupoudrer le film d’un peu de Paris.
Autre problème dans l’organisation de l’espace de Paris, qui montre définitivement à quel point la mise en scène passe à côté du sujet, celui lié au personnage de Pierre. Dans ce rôle, l’acteur fétiche de Klapisch, Romain Duris, plutôt sobre et convaincant. Ce n’est pas l’interprétation qui est en cause ici, plutôt la définition même de ce personnage : peu intéressant en lui-même, il est censé révéler ceux qui évoluent à côté, mais rate totalement sa cible. Pierre est un jeune Parisien gravement malade, qui apprend qu’il va peut-être mourir bientôt. De ce simple point de départ, Klapisch voulait tirer un tableau au regard renouvelé sur Paris et ses habitants si divers, façon la-mort-prochaine-révèle-la-saveur-de-la-vie. Or, Pierre reste enfermé dans son appartement, se contentant d’un peu de jardinage sur le balcon (ouf ! de loin, on aperçoit le bout de la rue en se penchant bien…) : un enfermement qui l’éloigne d’emblée de l’espace spatio-temporel qui devait présider à Paris (et si intelligemment utilisé dans Chacun cherche son chat) et qui, pour autant, ne révèle pas les autres personnages sous un autre regard (tout simplement parce que Pierre ne les rencontre pas !).
« Son état lui donne un regard neuf et différent sur tous les gens qu’il croise », dit Klapisch dans la note d’intention du film. On cherche en vain ce regard, et s’il est dans cette scène où Pierre téléphone à une amoureuse d’école pour lui avouer ses sentiments d’alors, on mesure le gouffre qui sépare l’ambition du réalisateur et le résultat. Le « regard neuf » que souhaite capter Klapisch est probablement pris en charge par Élise (parfaite Juliette Binoche), la sœur de Pierre, qui opère le vrai changement de regard sur les gens qu’elle croise. Une sincérité d’ailleurs probablement davantage due au jeu de Binoche qu’à la conception de son personnage. Concédons que la relation frère-sœur Duris/Binoche relève le tout, mais soulignons que cette réussite tient essentiellement au jeu de ces très beaux comédiens.
À côté de ce joli duo, évolue une ribambelle de personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres. Mention spéciale à Fabrice Luchini en prof de fac amoureux d’une étudiante (Mélanie Laurent), qui nous gratifie d’un « festival Luchini » durant toute la première partie du film, à tel point qu’on se demande si l’on est vraiment devant « Paris » ! La clique des maraîchers (Soualem, Lellouche, Dupontel, Ferrier) n’est pas en reste, et confine au grotesque lors des scènes à Rungis visité par d’improbables mannequins. Jugez plutôt : Audrey Marnay déambulant entre les étals de fruits et légumes et sa comparse embrassant Zinedine Soualem au milieu des carcasses de viande…Mais qu’est venu faire Klapisch dans cette galère ?
Décidément, Monsieur Klapisch a perdu sa fraîcheur : son Paris possède un arrière goût frelaté, c’est Paris par le bout de la lorgnette. À voir ce dernier film, on repense – encore – à Chacun cherche son chat, et on mesure à quel point Paris est contenu dans ce film, quand il est perdu dans Paris. La Bastille et son « Pause café » si bien croqué il y a douze ans pataugent dans une fin dégoulinante dans ce dernier opus klapischien.