Fred est un bloc de mal-être. Elle semble insensible à la mort et à la douleur qu’elle côtoie toutes les nuits lors de ses gardes d’infirmière, se montre furieuse de voir son père débarquer au centre de tir à la carabine où elle traîne parfois, apprend de son amant qu’il s’installe avec une autre. Alors elle a envie de se buter, vous comprenez. Non, vous ne comprenez pas ? Ah, mais c’est qu’elle est un peu opaque, vous voyez, il y a quelque chose d’existentiel derrière tout ça.
On voudrait ne pas avoir à s’acharner sur un tel film, on ferait peut-être mieux de se taire, tout simplement. Mais de pied en cap, Pas douce lasse, agace, exaspère. Son titre, déjà, sec-mais-mystérieux. Cette scène-charnière où Fred, sur le point de se tirer dessus, dirige sans raison la carabine vers deux gamins turbulents qui se chamaillent à deux pas d’elle lorsque le coup part – scène que rien ne rend crédible, troublant, convaincant. La suite, grosse comme un camion : Fred étant infirmière à l’hôpital où est acheminé l’adolescent qu’elle a blessé au genou, c’est évidemment elle qui sera chargée de le soigner. La grossière dérive psychique de la jeune femme, qui boit du gin en pédalant sur son vélo avant de foncer dans un lac. Cette détestable ambiguïté morale lorsqu’elle couche avec deux inconnus : cette impression que si l’on nous invite à ne pas la juger, c’est uniquement parce qu’elle traverse une mauvaise passe, sans quoi elle ne ferait jamais ça. Lorsqu’elle ira mieux, elle retrouvera son amant régulier. En attendant, elle laisse libre cours à sa non-douceur. Fred est un peu sauvage. Ça tombe bien, le gamin qu’elle a dégommé et dont elle s’occupe est lui aussi un petit sauvage – version plus hystérique. D’où, bien sûr, apprivoisement et reconstruction mutuelle.
On a vraiment du mal avec cette pantomime désincarnée du mal-être, cet empilement automatique d’actions démonstratives se réfugiant derrière un faux naturel. Avec cette caméra suiveuse, sans parti pris, qui n’exprime rien, ne relève que du petit et vain projet de retranscrire la réalité « brute » telle qu’elle est supposée être, et échoue à impressionner un quelconque enjeu sur la pellicule. Avec cette image granuleuse et terne, version auteuriste de l’image lisse et plate des téléfilms sans ambition. Avec ce cinéma fait d’un peu de rudesse, d’un peu d’espoir et de beaucoup de rien du tout. Et pitié, pitié, qu’on ne nous parle pas de Pialat, le miraculeux, l’unique, l’inimitable, lui qui n’a rien demandé mais suscite encore ces vocations à contre-sens qui font tant de mal au cinéma, en France ou ailleurs (en l’occurrence, ici, sur les deux rives du lac Léman). Alors oui, on peut dire qu’Isild Le Besco, sobre et mûre, barricadée derrière sa bouille d’enfant mal grandi, s’en sort plus que bien, mais vu le peu d’intérêt que présente le contexte dans lequel elle évolue, on se contente de remarquer qu’elle a de bien jolis seins… Évitons de virer graveleux, arrêtons-nous là.